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Olivier Germain-Thomas a vécu Mai 68 parmi les pavés. Il préparait un doctorat de philosophie à la Sorbonne au moment où les « événements » ont éclaté. Pourquoi les spectateurs non engagés de ce désastre ridicule ont-ils choisi de se taire si longtemps ? Olivier Germain-Thomas, tout comme Bernard Lugan, qui vient de publier un remarquable récit sur Mai 68 vu d’en face, aurait pu opposer la vérité historique, ou du moins un contre-témoignage plus précoce, à l’hagiographie du Rien qu’est devenue l’historiographie de ce lamentable mois de mai.

Peu importe, au fond. Son livre vient à point nommé, malgré tout, puisque nous en sommes à l’âge des commémorations. Loin des documentaires et des souvenirs gâteux, nous vivons, grâce à lui et à travers ses yeux, ce qui s’est vraiment passé il y a cinquante ans. Inflammation de la révolte parce que les garçons voulaient avoir accès au dortoir des filles (il n’était pas question, alors, de « balancer son porc », surtout quand le porc en question était une viande rouge) ; craintes et atermoiements du gouvernement ; duplicité des communistes, dont le secrétaire général, Waldeck Rochet, insistera auprès du député Vendroux, beau-frère de De Gaulle, pour que les gaullistes ne cèdent rien et qu’"il" ne s’en aille pas. C’est bien là le plus surprenant, pour un esprit qui n’a pas connu 68 : gaullistes et communistes avaient peur que cette révolution ne soit exploitée par les « américanolâtres », comme les appelle M. Germain-Thomas. De fait, Cohn-Bendit, héros à la mesure de son époque, rentrera clandestinement d’Allemagne dans une voiture prêtée par un soutien des États-Unis, et votera en faveur de la politique américaine toute sa vie.

Les « choses vues » sont pleines de vigueur et de lucidité ; ainsi de ce riche bourgeois en Jaguar qui refuse de prendre deux jeunes gaullistes en stop ; de ces professeurs charmés et étonnés que leurs vues soient partagées, alors qu’ils vivaient depuis si longtemps loin du réel ; la lâcheté de l’opinion et des politiques ; et, par-dessus tout, la clairvoyance des êtres intelligents, notamment Mitterrand, qui aura pour les anciens petits c… lubriques, devenus bien plus tard de vieux salauds repus, ces mots pleins d’une lumineuse cruauté : "Distinguer dans l’apothéose du sexe, l’exaltation du débraillé et la perversion du vandalisme, le besoin d’une ascèse, relève d’une extrapolation abusive. […] Il est assez comique (ou triste, selon l’idée qu’on s’en fait) que, pour autant de jeunes, affirmer sa personnalité, se libérer de la société des adultes, consiste tout bonnement à les imiter le plus tôt possible" (in Ma part de vérité, Fayard, 1969).

Le livre, entrecoupé d’un intermède bienvenu, se conclut – ou presque - sur des « ouvertures » dont le commun dénominateur est l’enracinement. Vilain mot, mot nauséabond, me direz-vous, mais Olivier Germain-Thomas n’est pas de ceux qui tendent le bras droit avec une canette de 8.6 dans la main gauche. Son enracinement à lui est dans les pas de Simone Weil. On trouve dans cette partie un style dont la sérénité, l’amplitude et la beauté du geste rappellent en lui l’amateur de philosophie orientale.

Peut-être son admiration pour le général de Gaulle mérite-t-elle d’être nuancée ; peut-être sa brève lettre au Président Macron, qui clôt l’ouvrage, est-elle quelque peu superflue ; mais, en tous les cas, la valeur du témoignage, la richesse et la fluidité du propos, la pertinence et l’élégance de ces « Ouvertures » suffisent à recommander chaudement La Brocante de Mai 68.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 02/05/2018 à 14:59.

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01 mai 2018 à 7:04

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