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Avec l’avènement de la modernité, les sociétés humaines occidentales se sont pensées comme nécessairement supérieures à la nature, celle-ci entendue non pas seulement comme « environnement naturel » de l’homme mais comme limite naturellement inhérente à ce dernier, dont la violation systématique entraînerait corrélativement les pires déséquilibres en lui-même. C’est ce qui fait précisément dire à Alain de Benoist que "la cause fondamentale des problèmes écologiques n’est donc ni économique ni technique, mais fondamentalement politique et surtout idéologique".

Cette idéologie est le « croissantisme », déclinaison économiste, techniciste, productiviste, consumériste et eudémoniste du progressisme hérité des Lumières – mais dont les racines remontent au moins à Descartes. Cette idéologie est même profondément impolitique en ce qu’elle révèle la désertion du politique au profit de la seule économie. Elle est à l’origine d’une inversion copernicienne des valeurs, une véritable involution anthropologique et civilisationnelle. Le célèbre philologue Georges Dumézil avait fait ressortir le schéma tripartite des préhistoriques sociétés indo-européennes qui structuraient leur « Weltanschauung » autour d’une distribution hiérarchisée des trois principales fonctions sociales que sont les fonctions de commandement (souveraineté), guerrière et de production/reproduction. Cette dernière occupe la troisième place et se trouve donc inféodée aux deux premières. Or, aujourd’hui, elle tend à rétrograder la première et à se substituer à elle.

Sur les pas de Serge Latouche, André Gorz, Jacques Ellul, Ivan Illich, Nicholas Georgescu-Roegen et tant d’autres, Alain de Benoist nous livre, dans cet essai magistral à l’écriture agréablement déliée, un vibrant plaidoyer solidement étayé pour la décroissance, tout en se gardant, comme il le dit, de donner dans le "sermon moral" et d’évacuer le politique – dont il cherche, justement, à rehausser l’utilité – et tout en reconnaissant avec une froide lucidité qu’"un recul annuel permanent de la croissance entraîne[rait], dans les conditions présentes, un véritable chaos social", tant la consommation est devenue aussi addictive que structurelle.

La décroissance entend, précisément, revenir non pas en arrière, mais à ces fameuses limites qui, de tous temps, ont contenu l’activité humaine entre les digues d’une nécessité parcimonieuse et raisonnable. À une époque où la satisfaction des envies – jamais rassasiées du fait d’une maladive addiction à l’accessoire et à la futilité – prédomine sur celle des besoins, la "notion de décroissance part de ce constat très simple qu’il ne peut pas y avoir de croissance infinie dans un espace fini", souligne très clairement de Benoist.

Partant, elle s’oppose à angle droit à l’idée de développement, laquelle, observe le philosophe, "rejoint le principe même de l’économie capitaliste en ce sens qu’elle se fonde sur la négation de toute limite : une croissance illimitée vise à répondre à des besoins posés eux-mêmes comme illimités". Et il poursuit : "L’activité économique des modernes s’est ainsi fondée sur l’idée que la nature est un bien gratuit, mais qui, au même titre que l’homme lui-même, pouvait être converti en marchandise."

La décroissance est, pourtant, devenue un impératif politique catégorique. Elle est ce cœur qui fait battre l’écologie profonde, politiquement transversale mais philosophiquement anti-cartésienne car anthropologiquement holiste. Être décroissant est d’abord un "mot d’ordre d’hygiène mentale", une salutaire invite à "décoloniser l’imaginaire" en le désolidarisant du terne horizon turbo-capitalistique, une attitude verticale à la fois conservatrice et révolutionnaire qui ordonne l’homme à l’univers, contre l’hubris (démesure) et pour la phronèsis (prudence). Elle est cosmo-humaniste et non individualiste. Un beau livre à lire, à relire et à méditer.

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14 avril 2018 à 20:49

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