Nuit de Chine.

Tous ces mots qu'on utilise, sans savoir, dans les pays où l'on ne risque rien.

Dissidence, opposition, contestation, censure, étouffement, dictature, police de la pensée, résistance, courage.

Tous ces mots qui servent à nous faire croire, dans nos démocraties imparfaites mais si rassurantes, que nous sommes des combattants, des militants, que notre quotidienneté est menacée et que nous sommes quasiment des héros en défilant, en manifestant et en protestant.

Tous ces mots qui viennent apposer leur sceau usurpé, en face de pouvoirs complaisants, sur une réalité acceptable quand la terreur - la vraie - est ailleurs et que le martyr, en l'occurrence, est mort en Chine.

Et que l'universel, les droits qu'il incarnait sont en deuil.

Liu Xiaobo (刘晓波), le plus célèbre dissident chinois, prix Nobel de la paix, est mort sous bonne garde, après huit ans d'incarcération, atteint d'un cancer du foie, après que ses demandes de transfert à l'étranger ont été refusées.

Un authentique héros, lui.

Enseignant à l'Université Columbia à New York, à la veille de Tian'anmen (天安门), il revient d'urgence pour participer au mouvement démocratique. Il aidera des étudiants à échapper à la répression. Prison de haute sécurité de Qincheng. Comme il ne respecte pas l'amnésie d'État qui interdit de parler des "événements du 4 juin 1989", trois ans dans un camp de travail.

Près de vingt-huit ans plus tard, la dictature chinoise n'a rien oublié. Pour son cancer détecté au mois de mai 2017, hors de question qu'il soit soigné à l'étranger. Il mourra en Chine.

Il est mort.

Pour ce mort très vivant, le cœur innombrable qui, au-delà des frontières et des partis, s'attache à la patrie de l'humain, de la liberté et de la dignité, est en souffrance, en deuil.

C'était déjà Liu Xiaobo qui affirmait, en 1988, que "choisir l'occidentalisation, c'est choisir d'être humain".

Articles et poèmes, "des phrases belles et fluides, des écrits bien équilibrés".

Pour la liberté politique.

Résistance, courage, démocratie, vérité, justice.

Ces mots magnifiques, dévoyés à force d'être banalisés dans nos républiques, si magnifiquement sublimés et portés par ce mort très vivant.

L'universel est en deuil.

Nuit de Chine.

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16 juillet 2017 à 0:30

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