Cher Éric,

Je suis en mal de notoriété, moi aussi, et malheureusement ne me prénomme que Maxime. De plus, je suis un homme, blanc de surcroît. Convenez que le sort s’acharne sur moi.
Dans ces conditions, vous serait-il possible de me donner un petit coup de main pour sortir de cette situation ?

Il suffirait que vous m'aidiez à provoquer une vive altercation entre nous, en commençant par faire en sorte que je sois invité sur le même plateau que vous, dans le même studio, sous le feu des mêmes caméras et micros.

Je vous contredirais, vous me contrediriez.

Combien en avez-vous extirpé, comme ça, du plus profond anonymat ? Combien d'obscurs avez-vous, de cette manière, poussé sous la lumière ?

Certes, ce n'est pas gagné en ce qui nous concerne ; les sujets de dissension entre nous, vous le savez, ne sont pas légion, c'est le moins que l'on puisse dire. Malgré une attention soutenue depuis bien des années, je n'en ai jamais relevé que deux… et encore, pas bien folichons.

Le premier, c'est le "foute" (le jeu de ballon rond sur gazon, si vous préférez) dont, pour ma part et contrairement à vous, je me contrefous autant et même bien plus que de ma première chemise. J'ai pensé au second pour notre altercation, notre "clash", comme disent les incultes. Je soutiendrais que je trouve les éoliennes certes inutiles, mais fines, élégantes et racées, vous rétorqueriez qu’elles sont laides et coûteuses. Là, je me mettrais à pousser des hauts cris, à avoir des vapeurs, prétendrais que vous m’avez offensé, que je n’ai jamais, de ma vie — promis juré craché —, été insulté avec une telle vigueur, bafoué dans mon honneur avec une telle brutalité… et cætera, et cætera, et cætera… (j'ai déjà un peu répété)

Très vite, avec tout ce qu'il faut de sanglots et autres trémolos dans la voix, j’en appellerais à la justice de mon pays, aux "associations", à L’Obs, à Libération, à Radio France Télévisions, au Syndicat de la magistrature… bref, à toute la cavalerie idéologique… et je me mettrais à pleurer.
Rien de bien méchant, comme vous voyez, rien de bien compliqué. Presque de la routine pour vous qui ne connaissez plus, de notre système audiovisuel subventionné, que guets-apens en meute organisée.

Après cela, grâce à vous, à ce petit coup de pouce somme toute insignifiant pour vous, à moi les télés, les radios, la une des journaux… à moi la notoriété ! Sans parler des dommages et intérêts par millions que nos amis zélés de la XVIIe chambre ne manqueraient pas de vous arracher.

En contrepartie, ma reconnaissance vous sera à jamais acquise, et je vous promets de venir vous voir en prison, à Cayenne ou au bagne de Toulon, ne serait-ce que pour vous raconter, si vous n'avez pas la télévision, les heureuses répercussions sur ma gloire de notre petite machination.

Voilà ! c'est tout ce que je voulais vous demander, cher Éric. Vous voyez que c'est bien peu de chose pour vous dont la gentillesse et la courtoisie sont légendaires, jusque parmi vos plus farouches adversaires, pour peu qu'ils soient honnêtes et non malintentionnés.

Pensez-vous être capable de refuser un si petit service à l'un de vos plus anciens, de vos plus inconditionnels amis, admirateurs et soutiens ?

Je sais bien que non, puisque je vous connais. C'est pourquoi vous me trouvez piaffant d'impatience et débordant de confiance au terme de cette lettre. Tenez-moi vite au courant concernant nos modalités d'action, un lieu, un jour, une heure à votre discrétion.

Sans pour autant négliger le temps, j'insiste, très cher Éric, d’agréer auparavant l'expression anticipée de mes plus chaleureux remerciements.

Maxime

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22 septembre 2018 à 9:53

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