Toulon, port de guerre… Derrière la forêt de mâts qui oscillent doucement dans le port de plaisance stationnent les mastodontes : à gauche, les ferries vers la Corse, les Baléares et la Sardaigne ; à droite l’imposant Tonnerre, gigantesque porte-hélicoptères qui marque l’entrée de l’arsenal. Entre eux, les bateaux-bus font la navette vers Saint-Mandrier, La Seyne-sur-Mer et Les Sablettes.

Après le port marchand, au pied de la Tour royale, est un jardin paisible ouvert sur la mer. C’est là qu’a été inauguré, le 28 novembre 2009, le Monument national des sous-mariniers disparus : un kiosque de bronze qui semble surgi des eaux devant lequel se tient une femme serrant contre elle un enfant. Autour, en arc de cercle, les noms gravés de 1.667 sous-mariniers qui, depuis 1905, ont disparu en mer, qu’ils aient fait le sacrifice de leur vie pour la France ou aient été victimes d’accidents parfois inexpliqués.

Le premier drame fut celui du Farfadet, en 1905. Le dernier celui du sous-marin nucléaire d'attaque Émeraude, en 1994, qui fit dix victimes. Mais le drame absolu, l’insupportable - parce qu’il n’a jusqu’ici reçu aucune explication -, c’est celui de La Minerve, disparu au large de Toulon le 27 janvier 1968.

Le dimanche 27 janvier 2019, comme tous les 27 janvier depuis cinquante ans, les familles étaient rassemblées dans le souvenir des disparus avec cet espoir au cœur : qu’on reprenne les recherches. Cette fois, elles ont été entendues. Le ministère des Armées vient, en effet, d’annoncer la reprise des recherches de l’épave, cela grâce aux équipements de haute technologie dont on dispose aujourd’hui. Elles seront confiées à la Marine nationale, assistée de l’IFREMER (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) et du SHOM (service hydrographiques et océanographique de la Marine).

On connaît la localisation du sous-marin deux minutes avant sa disparition. Il reposerait au large du cap Sicié, par 2.000 mètres de fond. Le ministre Florence Parly met toutefois en garde : malgré l’utilisation des drones sous-marins, « les recherches restent complexes et sans certitude d’aboutir ». Mais les familles veulent y croire, pour qui l’essentiel est « d’avoir un lieu identifié en mer où [se] recueillir, déposer des fleurs à chaque anniversaire. C’est important pour toutes les familles de connaître l’endroit des derniers instants de leurs proches », comme le souligne Thérèse Scheirman-Descamps. Quand son époux a disparu, elle avait 25 ans et deux jeunes enfants… Elle n’a jamais renoncé.

Le commandant de La Minerve était André Fauve. Son fils Hervé, représentant du Collectif des 52 familles de disparus, n’a jamais lâché non plus : « C’est inespéré car on avait fini par perdre espoir. Là, tout s’accélère : des premiers essais au large de Toulon d’ici deux semaines avec l’IFREMER, puis un mois complet de travail en juillet avec la Marine et, enfin, l’utilisation de sonars puissants en fin d’année », dit-il au Parisien.

On reproche parfois à cette grande famille de la soumarinade d’être un monde clos, semblable à ses bâtiments. Quant fut inauguré le monument à la mémoire des disparus, Didier Decoin, secrétaire général de l’académie Goncourt et écrivain de Marine, offrit à ces héros ce texte magnifique :

« …ne les cherchons pas dans les profondeurs où l’océan est sans étoiles ni fanaux, où leurs vaisseaux longs et fins gisent sur les sables gris, au vent brun des laminaires, là où ces bateaux conçus pour l’hermétique se sont ouverts, là où, après avoir pénétré la mer, c’est à présent la mer qui les pénètre, les habite, les dévore.
|…] À La verticale des gouffres bleus qu’ils ont pour linceul, où des mères, des épouses, des enfants, des fiancées, et peut-être des anges, leur ont jeté des fleurs, quelque chose émerge à jamais, quelque chose d’indestructible : un mot qui s’ouvre sur les trois mêmes lettres que le mot mer, et d’ailleurs c’est un mot infini comme la mer, et c’est le mot “MERCI”. »

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07 février 2019 à 16:04

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