L’Empire de la misère amoureuse

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D’après The Guardian du 27 décembre 2018 et The Conversation du 12 février 2019, le nombre de naissances, au Japon, a atteint seulement, en 2018, le seuil de 921.000 – pour la troisième année consécutive –, un seuil bien inférieur au nombre de décès (1,37 million). En définitive, les Japonais meurent plus vite qu’ils ne se reproduisent. Avec les plus de 70 ans formant, à ce jour, 20 % de sa population, le pays du Soleil-Levant vieillit exponentiellement et inexorablement. Est angoissante, aussi, la prévision selon laquelle les personnes de plus de 65 ans dépasseraient les 35 % d’ici 2040. Alors, les Japonais décideront-ils de baisser leur niveau de productivité ? Ou devront-ils remplacer leurs travailleurs par des robots ? Car le parti conservateur – au pouvoir durablement – ne veut pas avoir recours à l’immigration.

Dans le fond, le pays qui a accouché de L’Empire des sens – le célèbre film de Nagisa Ōshima révélant, au cœur du Japon de la première moitié du XXe siècle, l’érotisme sublimé et hystérisé d’un couple ballotté entre ennui et souffrance – montre des signes de déclin à cause de son absence de goût pour la passion amoureuse. En effet, qui n’a pas, parmi les 30-40 ans, connu – ne serait-ce qu’une fois – les fameux gôkon, des rendez-vous organisés entre hommes et femmes de la même classe sociale ou du même secteur d’activités ? Un utilitarisme qui fait froid dans le dos. Car le Japon reste la terre commune de la féodalité et de l’américanité. En d’autres termes, y faire occidental pour ne pas être banal. Ce qui expliquerait pourquoi le Japonais lambda n’arrive pas à s’aimer.

D’un bout à l’autre de l’archipel, les relations humaines constituent un chemin de croix, un défi perpétuel avec soi-même, là où l’ego ne veut pas être de trop. Le moindre contact physique y est toujours un motif d’excuses. Il est vrai qu’en Occident, on n’existe qu’en se montrant alors que, là-bas, on ne survit qu’en se dissimulant. Entre l’Occident et le Japon, il y a l’histoire d’une incompréhension permanente. Sans chiffre officiel à l’appui, les Occidentaux et les Japonais n’arrivent pas à réaliser un couple harmonieux. Et, lorsque le couple se délite, un petit métis est assigné à résidence multiculturelle : ni occidental pour les Occidentaux, ni japonais pour les Japonais, mais certainement étranger pour lui-même.

Pourtant, ces Japonais modernes auront tout fait pour se dessaisir de l’emprise de l’ultranationalisme d’antan (la pureté de la race japonaise faisant l’objet d’une propagande similaire à celle des nazis en leur temps). Alors, si la condition masculine de cette nation fait, aujourd’hui, peine à voir, parce que coincée entre un travail harassant et une sexualité simulée – y compris devant son écran – auprès d’une stupide étudiante ou d’une veuve éplorée (dans des établissements aussi divers et variés), sa condition féminine n’en est pas moins pathétique : il faut soit trouver le bon parti quand l’instinct national prime encore, soit chercher un Occidental docile lorsque la beauté physique ou la fleur de l’âge n’y sont pas. Dans tous les cas, le japonisme n’est qu’un nihilisme : une chevauchée vers nulle part. Puisque, qu’est-ce que le Japon moderne si ce n’est un chamanisme dilué au bénéfice d’un individualisme larvé ?

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 18:15.
Henri Feng
Henri Feng
Docteur en histoire de la philosophie

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