Le système électoral libanais est devenu sujet de plaisanterie pour les Libanais eux-mêmes, étant à peu près aussi complexe que la réalité politique du pays. À l’occasion des dernières élections législatives, il a d’ailleurs été changé, et pas dans le sens de la simplification - autre sujet de plaisanterie. Pourtant, et ce, malgré une forte abstention (51,8 %), contre seulement 46 % en 2009, les Libanais ont voté.

Le grand perdant ? Le Courant du futur (sunnite), parti du Premier ministre Saad Hariri, qui abandonne un tiers de ses sièges à l’Assemblée. Les vainqueurs ? Le bloc chiite, tout d’abord, composé du Hezbollah (chiite) et du mouvement Amal (chiites laïques), qui conserve donc son droit de veto en matière législative. Ainsi, il lui avait fallu deux ans de ce droit de blocage institutionnel pour pouvoir enfin installer son allié chrétien, le général Michel Aoun, à la présidence de la république.

Le Courant patriote libre (chrétien), le parti du même Michel Aoun, lui aussi en légère progression, confirme son leadership sur les diverses communautés chrétiennes. De leur côté, les Forces libanaises de son éternel rival chrétien, Samir Geagea, voient aussi fortement augmenter leur audience électorale. Longtemps alliées au Courant du futur, les Forces libanaises semblent donc se retourner cette fois vers le parti du président Aoun, formant ainsi un duopole chrétien équivalent de celui des chiites.

Ce qui n’empêchera vraisemblablement pas le probable approfondissement de l’alliance entre le Hezbollah et le Courant patriote libre, mouvements qui, à eux deux, détiennent désormais la majorité absolue au Parlement. Si Téhéran et Damas ne peuvent que se féliciter du résultat de cette élection, il est probable que les dents doivent grincer à Riyad et Tel Aviv. En effet, Saad Hariri, jusqu’à son enlèvement rocambolesque par les Saoudiens, était leur homme lige. Quant à Samir Geagea, on ne peut dire qu’il se soit toujours comporté en farouche adversaire d’Israël. Un Hariri affaibli et un Geagea qui revient en quelque sorte au bercail aouniste, la situation est donc tout, hormis anodine, étant donné l’environnement actuel.

Certes, avec le Hezbollah et le Courant patriotique libre, Téhéran dispose de solides alliés dans la place. Mais ce serait aller un peu vite en besogne que de prétendre que ces deux partis obéissent au doigt et à l’œil de leur sponsor. Car celui-ci, non seulement n’est pas arabe et, de plus, campe loin des frontières libanaises ; ce qui tend aussi à relativiser son influence. Pour résumer, on dira que les membres du Hezbollah se sentent autant libanais que chiites…

Il en va ainsi du patriotisme libanais, réel et sincère, mais qui n’a pas toujours les moyens de ses ambitions, ayant toujours dû, de longue date, se mettre sous la protection de telle ou telle puissance, rôle qu’emplissait jadis la France, mais qui est désormais dévolu à d’autres parrains plus proches. L’Arabie saoudite pensait pouvoir tenir ce rôle. Mais la manière dont Riyad a traité Saad Hariri, le peu de considération qu’inspirent les Saoudiens aux Libanais ont fait le reste. La Syrie, qui a longtemps occupé le Liban après la guerre civile, n’est plus en mesure de s’imposer comme autrefois, épuisée par le conflit l’opposant à l’État islamique.

Vu de Beyrouth, Téhéran demeure donc la moins mauvaise des solutions ; ce, d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un protecteur trop intrusif, surtout du point de vue religieux - question éminemment sensible s’il en est en Orient. D’ailleurs, durant le conflit civil ayant ensanglanté le Liban, de 1975 à 1990, jamais les chiites ne s’en sont pris aux chrétiens, et inversement, alors même que ces derniers se perdaient en d’interminables conflits interreligieux.

Vaille que vaille, le pays du Cèdre poursuit donc son petit bonhomme de chemin, plus vaillant qu’il n’y paraît et, finalement, moins désuni qu’on pouvait le craindre.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 20:41.

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11 mai 2018 à 20:02

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