Ce 30 avril, dans chaque garnison de la Légion, sur tous les théâtres d’opérations où elle se trouve, un chef de section un peu fébrile attaquait, dans un silence d’airain, le récit d’une chanson de geste moderne : "L’armée française assiégeait Puebla…"

Ce 30 avril, dans les régiments de la Légion étrangère, le soleil brillait d’un éclat un peu différent. On commémorait le combat de Camerone, au cours duquel, pendant plus d’une journée, le 30 avril 1863, soixante-deux légionnaires résistèrent à deux mille soldats mexicains. Au terme de ce combat, ils n’étaient plus que six, qui acceptèrent de se rendre aux Mexicains à condition qu’on soignât leur lieutenant, qu’on leur laissât leurs armes et qu’on dît à qui voulait l’entendre qu’ils avaient fait leur devoir jusqu’au bout. "¡Pero estos no son hombres, son demonios!" ("Ce ne sont pas des hommes, ce sont des démons !"), s’écrira l’officier mexicain qui découvrira cette poignée de héros, hagards et couverts de poudre.

Les esprits chagrins auront beau jeu de dire qu’en France, on aime bien se souvenir des glorieuses défaites. Ils n’auront peut-être pas tort : Bazeilles, avec sa maison de la dernière cartouche, est aux troupes de marine ce que Camerone est à la Légion. Il n’est peut-être pas indifférent, dans notre culture militaire française si marquée par ce que j’appellerais volontiers « le complexe de Cyrano », que ces deux armes d’élite aient en commun le goût de l’héroïsme tragique. Depuis Azincourt, il est toujours mieux vu sous nos latitudes de perdre avec allure que de gagner à tout prix.

Il n’empêche : qui a déjà assisté à une journée de Camerone, avec ce qu’elle comporte de solennité et de fraternité, d’austérité et d’excès, sait "tout le prix du silence""tout le prix de la guerre", comme le chantait Michel Sardou - philosophe involontaire, comme souvent. Qui a vu un détachement de la Légion fêter Camerone, au cours d'une opération extérieure un peu difficile, a pu sentir la présence d’une continuité généalogique, familiale, entre les héros de Camerone et ceux qui portent le même képi, avec la même fierté, un siècle et demi plus tard. En ces temps où la seule institution qui tienne encore la route est l’armée, au point que l’école finit par lui déléguer sa mission éducative, et à une époque où le seul exemple réussi de « société francophone multiculturelle prête à défendre les valeurs-de-la-république » porte un béret vert sur la tête, il peut ne pas être inutile de prêter l’oreille au récit de ce combat.

"Garçon, si par hasard, dans ton livre d’histoire, tu tombes sur ce nom : Camerone !", chantait Jean-Pax Méfret, à l’époque où nous étions encore des têtes blondes. Maintenant, il n’y a plus de livres d’histoire, il n’y a peut-être plus beaucoup de petits garçons non plus, et le nom de Camerone s’enfonce dans les sables du temps, méconnu par la société française, qui serait bien en peine de déposer une bougie ou un ballon sur ce bout de terre des environs de Veracruz, faute de savoir où c’est.

Vive la Légion !

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30 avril 2018 à 22:38

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