Homère nous raconte qu’aux temps archaïques, les Grecs égorgèrent Iphigénie pour faire se lever le vent. Pour que l’holocauste agréât aux forces obscures, il fallait qu’il en coûtât. Les vieillards scrofuleux et les filles contrefaites ne valent rien pour amadouer les dieux. Ce qu’il faut, c’est le don de l’innocence, d’une sensualité à son aurore, d’un corps où chante la vie. Les Athéniens eux-mêmes évoquaient un temps où un roi étranger leur faisait sacrifier en Crête leurs enfants au Minotaure. Avec son corps d’homme et sa tête de taureau, la bête incarnait une humanité corrompue ou inachevée, perdue dans les impasses et les détours du Labyrinthe, image de la fatalité dont la raison seule peut s’extraire. Chaque décade, la ville lui envoyait un lot de jeunes gens en pâture. À la vérité, les Athéniens y mettaient de la mauvaise grâce et l’on ne peut leur reprocher d’y avoir pris plaisir. Leur crime résidait dans la soumission à une croyance qui leur faisait oublier la plus élémentaire humanité, jusqu’à la protection que des parents doivent à leurs enfants.

Ces histoires antiques semblent révolues. Sommes-nous pourtant certains de ne pas pratiquer, nous aussi, dans l’ombre et la honte, le sacrifice des vierges et des innocents ?

En Angleterre, le viol organisé de milliers de jeunes filles blanches par des gangs pakistanais était connu des autorités policières et judiciaires depuis de longues années mais passé sous silence par antiracisme. Certaines fillettes y ont laissé la vie, toutes une part de leur âme. Ce n’était pas un crime, voyez-vous, mais un sacrifice accompli sur l’autel du vivre ensemble. Ce qui aurait pu n’être qu’une excentricité anglaise a malheureusement des échos dans le reste de l’Europe qui dépassent le stade du fait divers pour atteindre la dimension du sacrifice consenti à un nouvel ordre religieux : celui du multiculturalisme.

Le mythe grec raconte comment le Minotaure fut abattu par Thésée, le premier à se dresser contre une fatalité qui devenait de la complicité, la belle Ariane l’aidant à ressortir du dédale de la bête où sa bravoure eût été vaine sans l’amour d’une femme. Le retour de Thésée marque la fin d’un ordre ancien marqué par la peur et les superstitions. Le temps des mythes et des pesanteurs s’efface devant l’âge de l’esprit. La Cité occidentale s’affirme avec ses codes, son identité et ses constructions sociales. Les mœurs se polissent, la vie des hommes s’adoucit. Au lieu d’immoler leur prochain, ils apprennent à se sacrifier pour lui et de cette fraternité naît la Cité.

La furie contemporaine de déconstruction surexpose l’homme occidental à sa propre bestialité. Perdu dans le Labyrinthe de ses doutes et de ses croyances, il lui manque le fil d’Ariane de la raison, de la confiance en soi et du sens des responsabilités. Les remparts de la Cité tombent en ruine et l’humanité renoue avec des croyances qui l’entravent aux dépens des plus faibles. Peut-être l’homme blanc ne tolère-t-il les sacrifices à l’idole multiculturelle que parce que les nouveaux prêtres l’ont convaincu d’une culpabilité mythique qui l’écrase, et qu’il n’attend plus, au fond, que d’être remplacé par meilleur que lui. Ainsi se croit-il dépouillé du droit de lutter et même de protéger les siens sous peine de verser dans la phobie, ce nom moderne du sacrilège.

Le multiculturalisme a lâché le Minotaure dans la Ville. Est-il vain d’espérer nous en débarrasser enfin pour redevenir des hommes debout ?

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11 novembre 2018 à 9:39

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