Le roi d’Espagne répond à Sa Majesté BHL

SPAIN-ROYALS-CATALONIA

Sans avoir eu l’intention de le faire, le roi Philippe VI a répondu aux propos tenus par Sa Majesté Bernard–Henri Lévy, plus connu comme BHL l’Entarté.

Tout comme Manuel Valls (qui sera probablement sacré en mai à un royaume pareil, lors des élections à la mairie de Barcelone), BHL s’est récemment attaqué à l’indépendantisme qui sévit en Catalogne et menace l’Espagne entière.

Les deux bonshommes seraient–ils donc en train de prendre fait et cause pour l’unité de la nation espagnole, pour sa communauté de destin, pour l’intégrité de son identité ? Mais non, voyons ! La nation et l’identité, la communauté et son destin, l’Histoire et son enracinement, c’est là, pour eux, le diable même (laïque, certes) : des idées abominables prônées par les fachos qui, partout en Europe, « menacent nos libertés ».

Or, si on s’en tient aux seules libertés envisagées en tant que « droits de l’homme » – et homme individuel, la société ou la nation n’étant qu’un agrégat d’individus décidant de tout selon leur bon vouloir –, comment peut–on alors mettre en question le bon vouloir des individus souhaitant se dégager de leur agrégat – de leur « nation » – pour en former une autre ?

On ne le peut pas – ce qu’il conviendrait de rappeler à Valls et à BHL, ainsi qu’au Partido Popular et à Ciudadanos, ces partis espagnols aussi unionistes que libéralo–individualistes. Sur la base de la vision libérale du monde, il n’y a pas moyen de dénier aux atomes individuels le droit – disons–le avec l’emphase des indépendantistes – « à disposer d’eux–mêmes ».

Or, tout change dès qu’on quitte le cadre libéral de pensée. Non pas pour mettre en question la démocratie et les libertés civiques, mais pour les envisager autrement. Pour reconnaître que loin de s’abîmer – c’est d’un abîme démocratique que je parle dans mon dernier livre –, la démocratie ne prend tout son sens qu’encadrée dans quelque chose de supérieur, de « sacré », d’intangible. Dans quelque chose hors de question et de décision.

Quelque chose… Mais quelle chose, donc ? Plusieurs. La nature, par exemple ; l’art et la beauté aussi ; l’histoire et la communauté de destin, pour en rester à notre sujet.
"La loi", vient d’affirmer Philippe VI, en faisant une claire allusion à la prétention des indépendantistes à décider eux seuls la désintégration d’un peuple dont les origines, vieilles de deux mille ans, remontent à l’Hispanie romaine. La loi est supérieure à la démocratie, a reconnu le roi en proclamant "qu’il n’est pas possible d’en appeler à la démocratie si la loi n’est pas respectée".

Il a raison. Sauf que la loi n’est pas exactement ce « principe sacré » que j’évoquais. Ce n’est ni dans le vide ni parce que les Espagnols en auraient un beau jour décidé ainsi que la loi établit l’unité indivisible de la nation. Elle le fait d’une façon substantielle : parce que telle est la substance qui a été façonnée au long de l’Histoire, même s’il est vrai que la Constitution rend, aujourd’hui, juridiquement possible que le peuple espagnol – mais non une seule région – décide un jour de mettre fin à l’Histoire et à ce que celle-ci a engendré.

Même s’il est vrai, autrement dit, que la vision libérale du monde accorde à l’ensemble d’un peuple historique la possibilité de se suicider – une possibilité que l’immense majorité des Espagnols ne semblent pas du tout prêts à suivre.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 19:13.
Javier Portella
Javier Portella
Écrivain et journaliste espagnol

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