Depuis fort longtemps, le philosophe Michel Onfray ne retient plus son fiel contre BHL. Jeudi, au micro d’Europe 1, il a déclaré : « Bernard-Henri Lévy est le prototype de tout ce que je n'aime pas en philosophie. » Le public non averti peut voir là une simple querelle entre des penseurs soucieux d’animer, avec rigueur, le débat intellectuel. Il n’en est rien. Car ces deux-là ne font que combler un véritable gouffre. Les philosophes ne sont plus, dans la mesure où il n’y a plus que des professeurs. Pour autant, quel est le sens réel de cette sortie de l’auteur du Traité d’athéologie ? Michel Onfray doit, pourtant, tout à ce petit monde bourgeois de gauche qu’il se targue de honnir aujourd’hui.

À la fin des années quatre-vingt, l’élève de Lucien Jerphagnon – éminent spécialiste des sagesses antiques – avait proposé le manuscrit d’un texte intitulé Le Ventre des philosophes. Critique de la raison diététique à Jean-Paul Enthoven – père de Raphaël –, qui dirigeait les Éditions Grasset & Fasquelle. Ce dernier, surpris d’apprendre que le natif d’Argentan avait rédigé ce texte en quatre jours, décida de le mettre à l’épreuve en lui demandant d’écrire, coup sur coup, un chapitre sur Jean-Paul Sartre, puis une préface relatant les raisons personnelles qui avaient motivé ce travail.

Onfray, fils d’un ouvrier agricole et d’une femme de ménage, avait ainsi mouché les bourgeois de Saint-Germain-des-Prés, dont surtout Bernard-Henri Lévy, qui deviendrait alors son directeur littéraire. Pourtant disciple de Friedrich Nietzsche – le philosophe qui détestait le ressentiment –, Onfray pouvait se targuer de sa revanche sociale. Et cette dernière ne devrait jamais s’arrêter là.

Celui qui se réclamerait, très vite, d’un socialisme libertaire avait compris que BHL et consorts n’allaient pas tolérer que le nouveau venu s’arroge le droit d’intervenir dans le champ politique qui leur était réservé. C’est ainsi qu’une longue et pénible bataille d’ego devait commencer, et ce, pour le bonheur de la société du spectacle. Telle est la vie de ces vedettes de la télé : de Jean-Paul Enthoven, qui était en couple avec Carla Bruni qui, elle, s’enticha finalement de son fils Raphaël, pourtant marié à Justine Lévy, fille de BHL (ce qui obligea la « résiliente » à publier une autofiction intitulée Rien de grave, en 2004). Tel est donc, à présent, le monde d’Onfray : l’ordre libéral-libertaire pour qui il convient de « vivre sans temps mort, jouir sans entraves ». Des échanges liquides et sucrés.

BHL et Onfray se détestent maintenant, mais peuvent très bien faire la paix demain. Un exemple le prouve : Onfray avait, en septembre 2015, sur le plateau de l’émission "On n’est pas couché", de Laurent Ruquier (son ami), porté l’estocade à l’écrivain Yann Moix, qui avait le tort d’être un protégé de BHL. Le rebellocrate s’était, en effet, cassé les dents sur l’hédoniste cathodique. Après quoi, « Moi x Moi x… » devait mettre son ego de côté pour finir par s’excuser publiquement. Résultat : il prépare, aujourd’hui, un livre hagiographique sur le père Michel.

Enfin, tous ces duels sont plus insipides encore que celui entre Sartre et Camus. Car, à cause de l’industrialisation massive de l’édition et du poids terrible de l’image sur le mot, les intellectuels ne peuvent plus être des intellectuels : juste des « montreurs de marionnettes » que Platon avait si bien décrits dans son allégorie de la caverne formulée dans La République. Bienvenue chez les sophistes !

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22 février 2019 à 22:26

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