En chute libre, l'exécutif a été acculé à céder aux revendications minimales des gilets jaunes. Macron, tombé à 23 % d'opinions favorables, a laissé son Premier ministre, qui lui-même a perdu 10 points, à 27 %, déposer les armes.

Au nom de la paix sociale, Édouard Philippe a donc annoncé, pour six mois, la suspension de l'augmentation des taxes sur les carburants, du rattrapage du diesel sur l'essence et de la hausse du diesel pour les entrepreneurs non routiers. Il a également renoncé à toute modification du contrôle technique pour les automobiles. Enfin, il s'est engagé à ce que les tarifs du gaz et de l'électricité ne soient pas modifiés. À partir du 15 décembre, un débat sera lancé sur la fiscalité. Le Premier ministre semble avoir découvert que la France détenait le record des prélèvements obligatoires en Europe.

L'image du pouvoir est durablement brouillée, sinon définitivement brisée. L'exécutif voulait incarner le retour de l'autorité légitimée par le suffrage universel et revalorisée par la mise en scène présidentielle. Celle-ci s'est vautrée dans l'affaire Benalla et quelques séquences qui montraient, à Saint-Martin et ailleurs, un chef de l'État aux antipodes de la stature du général de Gaulle.

Le désastre est total. Macron prétendait transformer la France, en faire un modèle européen du dynamisme économique, la faire briller parmi les grands du monde et lui donner le premier rôle dans des combats planétaires, comme la lutte contre le réchauffement climatique, ou continentaux, comme le duel des progressistes contre les nationalistes. Il y avait, dès le départ, un contresens et un contre-emploi, que l'étrangeté de l'élection présidentielle avait masqués. Historiquement et sociologiquement, notre pays était le plus mal placé pour incarner le champion du progressisme mondialiste et fédéraliste européen. Ses votes, de justesse à Maastricht, puis négatif contre la Constitution européenne, l'importance électorale grandissante du Rassemblement national révélaient un pays réel bien encombrant pour la caste constituée par le microcosme médiatique, l'oligarchie politique et les milieux d'affaires. En réalité, elle ne faisait que se cacher la réalité qu'elle prétendait ne pas voir. L'élection de Macron s'était faite par défaut. Plutôt que l'aventure d'une droite souverainiste et étatiste au point d'abandonner l'euro, les électeurs avaient voulu donner sa chance à un candidat qui leur paraissait moins dangereux et, en passant, liquider une grande partie du personnel politique en place, jugé responsable de la dégradation du pays.

Au bout de dix-huit mois, leur opinion est faite sur les résultats du pari : aucune amélioration notable de la croissance et de l'emploi ne s'est produite, le fait d'avoir réintégré la norme des 3 % de déficit public par rapport au PIB laisse les Français totalement indifférents. En revanche, le dérapage des prélèvements obligatoires (qui atteignent 48,4 % du PIB) sans que les services publics ne se soient améliorés n'a échappé à personne. Au contraire, la France périphérique a vu sa protection se restreindre tandis que ses charges augmentaient. L'acharnement aveugle contre l'automobiliste de province au pouvoir d'achat limité a déclenché la révolte qui va désormais bien au-delà.

Mensonge éhonté sur les exigences de la transition écologique alors que la France est un des pays les plus sages pour la production de gaz carbonique, hostilité sans mesure au diesel : à force de prendre les Français pour des imbéciles, le pouvoir a perdu une confiance qui était conditionnelle, dès le début. Peut-être va-t-il retrouver la paix publique, mais il ne retrouvera pas la confiance des Français. Qui croira que les forces de l'ordre n'avaient pas les moyens d'empêcher les manifestants d'atteindre l'Arc de Triomphe et que le pouvoir n'espérait pas tirer de ces excès un regain de faveur publique ?

La seule question qui se pose, aujourd'hui, est celle de la durée d'un régime discrédité aux yeux du monde entier, et dont le cap sera d'autant plus difficile à tenir qu'il s'est estompé dans la brume ; ses passagers ne laisseront plus le pilote agir à sa guise.

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05 décembre 2018 à 13:49

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