Les doutes assaillent désormais les Allemands : Angela Merkel ne parvient pas à constituer un gouvernement hétéroclite (CDU/CSU, FDP, écologistes). Ce 17 novembre, l'échec est patent, et le SPD de Schulz ne reviendra pas sur sa décision de camper dans l'opposition. Sur l'économie, le social, l'immigration, l'Europe, la monnaie, le climat et l'énergie, il est possible qu'aucun accord ne soit trouvé, ce qui conduirait à de nouvelles élections, très indécises, voire aventureuses. Les négociations pour composer une coalition semblent devoir être exceptionnellement longues et la perte considérable de popularité d'Angela Merkel incite ses vis-à-vis à être plus exigeants.

Dans ces conditions, le système bruxellois sera aussi paralysé, notamment les dossiers de l'Union bancaire, de la zone euro, du Brexit, la fiscalité des ubiquitaires géants du Web, la défense européenne, la politique migratoire.

Sur le plan économique, une grande incertitude règne aussi depuis peu. Car les États-Unis vont instaurer (en décembre 2017) des droits de douane compensateurs de 20 % qui frapperont de plein fouet les exportations allemandes vers l'Amérique. Non seulement les exportations allemandes vont connaître un fort recul, mais la secousse commerciale qui en résultera peut mettre à mal des économies européennes fragiles (Espagne, Italie, France) et provoquer une tempête boursière et monétaire.

Pour un observateur superficiel, la situation économique allemande est bonne : excédents commerciaux et budgétaires exceptionnels. Mais la croissance du PIB à 2 % doit être relativisée par deux bémols : elle inclut les produits financiers, dont certains sont artificiels (spéculatifs) ; elle profite aux grandes entreprises et grosses PMI qui caractérisent l'industrie allemande.

La situation sociale et sociétale, elle, est bien plus préoccupante. Selon Eurostat : "Depuis […] 2005 [année Merkel], le pourcentage de la population sous le seuil de pauvreté, fixé à 60 % du revenu médian, a plus que doublé en dix ans… Le nombre de travailleurs pauvres a également doublé depuis 2005. De fait, le plein-emploi en Allemagne a été atteint via une recrudescence des “mini-jobs”. Autour des 2,5 millions de chômeurs officiels, gravitent ainsi 1 million de personnes en situation de sous-emploi et dont beaucoup sont des travailleurs pauvres qui ne figurent pas au rang des chômeurs. Quant aux nombre de retraités pauvres, ils sont 30 % plus nombreux qu'il y a dix ans…" Et n'oublions pas que le système Schröder de faible durée d’assistance aux chômeurs peut aggraver dramatiquement cette situation si la conjoncture (notamment l'effet Trump) se détériorait, augmentant considérablement le nombre de sans-emploi faiblement aidés après un an d'indemnités chômage.

Enfin, la question immigratoire a été traitée avec légèreté par Angela Merkel ; certains disent de façon irresponsable. Le succès de l'AfD en est le marqueur ; les raidissements que l'on voit sur le sujet partout en Europe indiquent que ce n'est pas fini, et que l'on ne pourra escamoter sans fin ces questions légitimes d'identité par le déni, l'invective, l'amalgame, l'excommunication. Pour Alain Finkielkraut (L'Identité malheureuse), "il nous faut certes combattre la tentation ethnocentrique de persécuter les différences et de nous ériger en modèle idéal, mais sans pour autant succomber à la tentation pénitentielle de nous déprendre de nous-mêmes pour expier nos fautes. La bonne conscience nous est interdite mais il y a des limites à la mauvaise conscience. Notre héritage, qui ne fait certes pas de nous des êtres supérieurs, mérite d’être préservé, entretenu et transmis aussi bien aux autochtones qu’aux nouveaux arrivants."

Inhibés longtemps par le poids de leur histoire récente, les Allemands réagissent à présent. Car ils veulent légitimement que leur pays survive en tant qu'Allemagne et que la richesse y soit partagée.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 18:44.

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18 novembre 2017 à 9:03

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