L’affaire Benalla : une affaire d’État

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On a le droit de n'être pas dupe de la fausse habileté d'Emmanuel Macron qui l'a conduit tardivement et sans risque, devant une assemblée de fidèles, à revendiquer toute la responsabilité en proférant, sûr de soi, "qu'on vienne le chercher". Il lui était évidemment facile de prendre à sa charge - gratuitement - une responsabilité exclusive puisque son directeur de cabinet, sans surprendre, avait déjà dit qu'elle lui revenait.

Il est clair, aussi, que l'affaire Benalla n'est pas une affaire d'État au sens où, malgré les outrances politiques et médiatiques, si elle est susceptible un temps d'entraîner une perte de crédit du Président, elle n'empêchera en rien, sur le fond, la continuation de la stratégie présidentielle ni ne fera obstacle à la poursuite de cet étrange cavalier seul, dans un univers décomposé, d'Emmanuel Macron, pourtant de moins en moins nouveau dans son registre, de plus en plus ancien dans sa pratique. Laisser croire que les retombées de cette crise pourraient profondément affecter la gestion des affaires du pays est une absurdité.

Pourtant, sur un autre plan très différent et bien plus préoccupant, cette histoire qui dure est la première, sous l’ère Macron, qui batte en brèche la morale publique et l’État de droit. À ce titre, déjà, éclatant comme un coup de tonnerre dans un ciel qu’on espérait obstinément bleu pour l’éthique républicaine, il est normal qu’elle ait focalisé une attention suspicieuse qu’il serait malséant de qualifier « d’hystérie ».

Surtout, cette « première » en elle-même digne d’intérêt offre la particularité unique, dans notre vie politique, d’être totalement plurielle, d’enfermer en son sein, comme pour une leçon de choses, une infinité de dysfonctionnements, d’irrégularités, de lâchetés et d’hypocrisies.

À propos d'Alexandre Benalla et de ses dérives, il n’est pas un service qui puisse se dire impeccable, pas une institution, pas un corps - la préfecture de police comme la gendarmerie - qui soient à l’abri de tout soupçon, le ministère de l’Intérieur lui-même est sur la sellette, le monde parlementaire avec ses moyens de contrôle est en première ligne et, surtout, l’Élysée a été et est la cible de reproches fondés pour sa communication et sa part décisive dans tout ce qui a été octroyé d’exorbitant à Alexandre Benalla.

L’affaire liée à Alexandre Benalla est une affaire d’État tout simplement parce que l’État, à tous niveaux, est concerné et s’y trouve peu ou prou impliqué. S’il a fallu attendre pour ce désastre sous la présidence Macron, on peut soutenir que la relative indulgence dont il pourrait bénéficier en raison de son caractère pour l’instant unique est malheureusement très largement compensée par l’ampleur de ce qu’il révèle et qui se rapporte au premier chef à l’Élysée.

C’est, d’ailleurs, une autre avancée démocratique qui, paradoxalement, va être suscitée par cette effervescence qui, de la base au sommet, a troublé, agité et indigné. Apparemment, c’en est fini des reconnaissances de culpabilité mensongères. Nulle part on n’a hésité à pourfendre, pour se défendre, le niveau d’au-dessus jusqu’à incriminer en définitive l’Élysée auquel Alexandre Benalla était rattaché avec la confiance inébranlable que lui accordait Emmanuel Macron. Le temps où l’Élysée était forcément sauf est révolu : maintenant, l’Élysée est coupable. Changement de méthode, de discours et peut-être banalisation du régalien ?

Impossible de prétendre, comme le Premier ministre, qu’il ne s’agit que d’une « dérive personnelle » alors que tout un système a failli qui l’a facilitée et permise. Le président de la République a dénoncé le comportement inacceptable d'Alexandre Benalla en déclarant qu’il s’était senti « trahi ». Sans doute par lui, je veux bien l’admettre, mais lui-même ne nous a-t-il pas trahis par trop d’indifférence à l’égard de la qualité et de la validité de certains compagnonnages adoubés seulement parce qu’ils étaient fidèles au chef ?

D'ailleurs, quand il soutient, au risque de se contredire, qu'il est fier de l'avoir embauché et que la sanction était proportionnée (sanction, au demeurant, jamais effective et sans retenue de salaire !), il montre bien le fond de sa pensée qui peut laisser dubitatif.

Je regrette que, pour la première fois, le président de la République ait manqué d’allure en se moquant de nous. Avec lui, on ne serait plus dans la République des fusibles ?

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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