Ah ! les sous, le fric, le flouze, le pognon, l’oseille et les fifrelins… Imaginez comme la Justice de notre pays retrouverait de temps et d’espace si l’on virait des tribunaux tous les litiges qui s’y rapportent. C’est simple, avocats et magistrats ne sauraient plus où donner de la manche et de la toge.

Les procès, dans notre société rongée par l’envie et sa sœur la jalousie, tournent hélas, bien souvent, autour de cette épineuse question : qui va récupérer le magot ? Qu’il s’agisse des tasses à thé de la grand-mère, du champ d’oliviers de l’oncle Arsène ou des millions récoltés en soutien à Charlie Hebdo, les protagonistes qui, hier, se juraient l’amour éternel en viennent très vite à s’étriper.

Ainsi en est-il, aujourd’hui, de la merveilleuse histoire du boxeur Dettinger, affaire (minablement) pendante devant la Justice, comme on dit en jargon juridique. Plus dépendue que pendante, d’ailleurs, puisqu’elle vient, ce vendredi, devant le tribunal d’Évry, chargé d’examiner le référé déposé par la plate-forme Leetchi.

Rappelons brièvement les faits.

À « l’acte VIII des gilets jaunes », comme on dit dans le nouveau calendrier républicain, soit le 5 janvier dernier, monsieur Christophe Dettinger, en professionnel de la boxe qu’il est, tabassait des policiers sur le pont des Arts. Round filmé en direct, Dettinger vainqueur de flics par KO. Applaudissements de la foule. Grincements de dents des politiques. Mauvaise humeur des syndicats de police.

Le surlendemain des faits, le "Gitan de Massy", nouveau héros des réseaux sociaux, allait à Canossa, soit au commissariat de quartier. Incarcération préventive, procès le 14 février, clémence de la cour devant son repentir sincère (formule consacrée) : le boxeur écopait d'un an de prison à purger en semi-liberté.

Dans l’intervalle, ses amis en jaune lançaient une cagnotte pour soutenir, non point les flics tabassés, mais le boxeur victime de l’odieuse répression policière dans un État totalitaire, etc. C’est Nicolas Alves, « le bon copain qui a bien vu que Karine Dettinger, auxiliaire de crèche qui touche à peine 1.300 euros par mois, allait se retrouver dans l'embarras » (oubliant de mentionner que le boxeur est agent territorial à Arpajon), dit un proche, qui ouvre l’appel aux dons le 6 janvier sur Leetchi.

Si la chose passe bien sur les ronds-points, ailleurs, ça coince plutôt. Sous la pression, Leetchi ferme le robinet le 8 janvier. En 48 heures, plus de 145.000 euros ont été récoltés.

Motif initial, dit Leetchi : les fonds récoltés devaient servir uniquement à payer les frais de justice. Faux, dit l’avocat de la famille : « Il a toujours été clair que cette cagnotte servirait à soutenir la famille de manière générale […] Cet argent pourra servir pour la vie de famille, payer la cantine des enfants, les charges, les factures, et le crédit immobilier. ». Ben oui. Et peut-être aussi un écran plat et une voiture électrique ?

Leetchi n’a pas débloqué les fonds, arguant tout à la fois d’un changement d’objectif et de destinataire, affirmant que Nicolas Alves « n'a pas fourni les devis d'honoraires d'avocats » et que les fonds, devant être versés au compte de Christophe Dettinger, allaient maintenant atterrir sur celui de sa femme.

D’où l'assignation en référé de la plate-forme Leetchi examinée ce vendredi par le tribunal d’Évry. Aubaine pour madame Dettinger, qui a fait délivrer, mardi, une assignation devant le tribunal de Paris : elle réclame trois millions d'euros de dommages et intérêts à la plate-forme de financement. L’épouse du boxeur a fait son petit calcul : sachant qu’en deux jours, 145.152 euros ont été récoltés, combien seraient tombés dans son escarcelle si la cagnotte avait duré 45 jours ? Musique de la caisse enregistreuse… La « perte de chance » (sic) s'élèverait à 3.120.768 euros. Gentille, elle arrondit à 3 millions.

Pas bête. Finalement, les gnons rapportent plus que le Loto !

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22 mars 2019 à 14:42

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