Tout récemment nous sont annoncées des "pistes pour renforcer l'indépendance de la Justice". J'entends bien cette incessante insatisfaction, mais je demande qu'on garde les yeux et l'esprit ouverts. Depuis 2012 - et la présidence d'Emmanuel Macron va, évidemment, amplifier à mon sens ce mouvement positif -, la gestion et le traitement des affaires sensibles ne font plus l'objet d'une confiscation politique comme sous Nicolas Sarkozy.

On a été obligé de constater ce paradoxe d'un ministre médiocre et d'un Président indifférent - Christiane Taubira et François Hollande - mais, à la fois, d'une considération et d'une liberté dont la magistrature a heureusement bénéficié. Je ne suis pas naïf : je ne vais pas soutenir que tout lien organique et technique a disparu entre le ministère de la Justice et les parquets parisiens. Mais ceux-ci ne se voient plus dicter leur pratique par le premier dans les dossiers intéressant l'État et des personnalités qui lui sont peu ou prou reliées.

Il est difficile de le croire, mais pourtant c'est vrai. Une récente preuve en a encore été donnée avec l'enquête puis l'information relative à Business France et à la manifestation de Las Vegas.

Cela n'empêchera pas les médias, les opposants politiques et les citoyens d'être persuadés du contraire, tant on préfère cultiver un soupçon absurde plutôt qu'une certitude à laquelle on n'était pas habitué.

L'indépendance de la Justice est une problématique qui est derrière elle et qu'elle veuille bien cesser de se battre pour une cause qui a été gagnée, alors qu'en revanche - et la conférence des procureurs l'a lumineusement et tristement dénoncé -, elle est victime de tant d'autres difficultés, d'une raréfaction des moyens humains et matériels, d'une multitude de tâches qui ne devraient pas relever de sa compétence ou qui, concrètement, lui interdisent de prendre en charge l'essentiel : la politique pénale au quotidien.

Comme l'institution, le plus haut représentant - par chance, très respectable - de la magistrature, Bertrand Louvel, et bien sûr les syndicats, ne sont mobilisés que par l'indépendance dont ils ne voient pas qu'elle est assurée, ils n'aspirent qu'à leur nirvana qui serait "l'alignement des conditions de nomination des membres du parquet sur celles des magistrats du siège".

Malgré l'apparente équité de cette mesure, le dispositif mis en place ne constituerait pas une avancée pour la magistrature. De ce salmigondis, de cette confusion organiques ne pourrait pas naître le moindre progrès.

Siège et parquet sont deux catégories distinctes, les philosophies sont contradictoires, les qualités exigées ne sont pas les mêmes. Les juges, au fond, n'ont aucune envie de se retrouver dans une unité artificielle avec des procureurs qui, eux-mêmes, répugneraient à s'abriter sous le même toit que celui du siège. À tenter ce singulier rapprochement, une évolution perverse risquerait de se produire qui dégraderait, dans la quotidienneté, les juges en accusateurs et ces derniers en pourfendeurs faiblards. Loin d'amplifier l'unité du corps, il convient de la briser.

Les conditions de désignation identiques non seulement n'éclaireraient pas le chemin de la Justice mais le brouilleraient. Seule la distinction claire et nette du siège et du parquet serait susceptible de rendre la Justice plus lisible, plus visible. Il serait paradoxal d'opérer une mue contre-nature alors que l'indépendance de la Justice est maintenant une donnée stable, admise et rassurante. Le pouvoir qui tenterait de lui porter atteinte serait décrédibilisé.

Tout ce qui s'écarte de la réalité des appétences, des statuts et des comportements est néfaste. Ce qui en tient compte est au contraire valable. Une homogénéité artificielle ne devrait pas peser lourd face à un clivage validé par l'Histoire et légitimé par les pratiques.

Peut-être la Justice n'est-elle pas prête à accepter la bonne nouvelle de son indépendance et à changer de sujet ?

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09 juillet 2017 à 9:00

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