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Mustafa Kemal, alias Atatürk, "le père de la Turquie moderne" comme disent (encore) les livres d’histoire, doit s’agiter dans sa tombe en voyant à quelle vitesse son pays s’en retourne vers l’obscurantisme religieux.

Matant le coup d’État raté qui l’a visé le 15 juillet 2016, son successeur Recep Tayyip Erdoğan a, depuis, fait sombrer la Turquie moderne dans la peur et instauré dans tous les domaines la suprématie de son Parti de la justice et du développement, le très islamo-conservateur AKP, dont la branche religieuse règne désormais en maître sur la société civile. Ainsi, l’on apprend que le budget de la Direction des affaires religieuses (Diyanet İşleri Başkanlığı) a quadruplé, le nombre de ses fonctionnaires (128.697) dépassant aujourd’hui celui du ministère de l’Intérieur.

Dans le même temps, des purges dignes des grandes heures du stalinisme s’abattent sur l’Université, la fonction publique, la presse… Au lendemain de la victoire d'Erdoğan au référendum sur la Constitution, en avril dernier (victoire remportée, il faut le rappeler, grâce aux Turcs vivant "libres" en diaspora, notamment en France et en Allemagne !), une nouvelle vague d’arrestations a emporté 9.100 policiers et 3.200 personnes soupçonnées de sympathie avec le mouvement de Fethullah Gülen. En ce début de semaine, ce sont encore 19 journalistes de l’historique Cumhuriyet qui passent en jugement, encourant de 7 à 43 ans (!) de prison pour avoir critiqué les autorités.

Hélas, ce n’est sans doute que le début du basculement idéologique qu’Erdoğan et ses troupes de l’AKP appellent de leurs vœux.

En effet, après le démantèlement de la presse et de tous les services qui n’étaient pas strictement à sa botte, le parti au pouvoir entreprend de réformer en profondeur le contenu de l’enseignement. Après le retour du voile à l’université et l’autorisation (en attendant l’obligation ?) du port du voile pour les petites filles à partir de dix ans, un nouveau programme a été rendu public le 18 juillet par le ministre de l’Éducation. Comme le révèle M le magazine du Monde, Darwin ou Atatürk et sa laïcité sont désormais remplacés par le putsch raté de juillet 2016 et des cours de religion. "À partir de la rentrée scolaire, en septembre, le concept de “djihad” sera enseigné dans la plupart des écoles du pays." "Le djihad existe dans notre religion et il est du devoir du ministère de l’Éducation de veiller à ce que ce concept soit enseigné de façon juste et appropriée", a expliqué le ministre. Quant au kémalisme, il sera maintenant présenté comme "une trahison", voire "un accident de l’histoire" qu’il convient de réparer sans tarder. Cela conformément aux visées d’Erdoğan, qui entend "reconstruire l’État à partir de zéro".

C’est en route. Déjà "le nombre d’écoles religieuses et coraniques a considérablement augmenté. On ne compte plus les lycées laïques transformés en écoles pour imams. Depuis peu, la plupart des établissements scolaires doivent être dotés d’un local réservé à la prière. Les cours de morale et de religion à l’école publique – rendus obligatoires par les militaires après le putsch de 1980 – ont été renforcés."

On l’a compris : la « Nouvelle Turquie » du président Erdoğan sera sunnite, à n’importe quel prix, et l’on devine qu’il pourrait bien être très élevé dans une société aux tensions déjà exacerbées entre "laïques contre religieux, alévis contre sunnites, Kurdes contre Turcs".

Pas sûr qu’on ait besoin d’une autre guerre civile aux portes de l’Europe.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 18:25.

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01 août 2017 à 14:45

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