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Je n'ai pas lu tous les livres de Jean d'Ormesson. Sans doute ne voulais-je pas effacer le charme qu'avait produit sur moi Au plaisir de Dieu par d'éventuelles déceptions. Je n'ai jamais été un fan de Johnny Hallyday. De ces lacunes je ne tire aucune prétention. Et mon propos n'est pas de juger les œuvres puisque je viens d'avouer mon incompétence en la matière. Ni d'ergoter sur l'ampleur des hommages officiels. Notre époque vit dans une telle frustration de modèles à admirer et de communion nationale à vivre que, lorsque les occasions se présentent, elle a des périodes de boulimie.

M. Macron l'a parfaitement compris et il sait gérer ces moments à merveille pour le meilleur profit de la nation, des médias et de sa symbolique présidentielle. Et l'on peut raisonnablement penser qu'après Simone Veil, Jean d'Ormesson, Johnny, la mythologie française accueillera dans son ciel nos deux anciens Présidents les plus âgés, MM. Giscard d'Estaing et Chirac, dont les nécrologies doivent être prêtes dans toutes les rédactions.

À méditer les destins finalement assez parallèles, notamment par leur longévité depuis les années 60, leur présence constante dans les médias, mais aussi leur accointance avec les pouvoirs, de Jean d'Ormesson et de Johnny, je me disais que l'emphase inévitable des éloges cachait tout de même un trait essentiel de leur époque.

On ne cesse de nous dire que, chacune à sa façon, ces deux personnalités ont été la France. Oui, mais quelle France ?

Je peux comprendre que les Français de plus de cinquante ans soient particulièrement touchés : ces deux gloires les ont constamment accompagnés depuis les années 70, l'un sur le plateau d'« Apostrophes » et dans Le Figaro, l'autre avec ses albums.

Mais pour les plus jeunes, les moins de cinquante, de quarante ans ? Combien de lecteurs de Jean d'O. ? Et de fans de Johnny ? Je crains que ce ne soit une pyramide des âges inversée...

Autre question : lit-on Jean d'O et écoute-t-on Johnny dans les banlieues aujourd'hui ?

Quant à ceux qui, comme moi, auraient dû être admirateurs des deux, pourquoi cette distance, cette relative indifférence ? Pas seulement une question de milieu, de style ou de goûts musicaux ou littéraires. Peut-être une question de génération et le sentiment qu'ils ont été les parfaits et constants accompagnateurs d'une France et de Français relativement heureux - nos parents - qui sont encore là, entre 70 et 95 ans, pour pleurer sur leurs cercueils. Les miroirs de leurs hédonismes et de leurs fêtes, aussi, et dans toutes les catégories sociales. "Fête" : c'est bien le mot qui les rapprochait et qui disait le mieux l'époque. On comprend, dès lors, que leur départ suscite tant de nostalgie. Dans leur obstination, l'un et l'autre ont voulu prolonger la fête. Le mot s'est glissé, si juste, jusque dans l'hommage des Invalides où Emmanuel Macron a imaginé Jean d'O accueilli par un Dieu qui lui dirait : "La fête continue." La fête : tel fut l'horizon métaphysique de ces générations...

La vérité, c'est que cette France des seniors, ses dirigeants, ses élites – et nos deux gloires en faisaient partie – s'est, entre deux pirouettes spirituelles de Jean d'O chez Pivot et deux tubes de Johnny à « Taratata », lentement mais sûrement laissée couler : une immigration record et non maîtrisée, une islamisation problématique, un chômage massif, une croissance atone plombée par impôts et déficits, des centres-villes désertés, des paysans en voie de disparition, des familles décomposées, une inculture de masse. La France n'est plus à la fête. Les Français le savent bien. Et de cette France-là, quasiment rien ne transparaît dans les œuvres de nos deux gloires.

On a, à juste titre, dès son élection, rapproché la jeunesse, la modernité et le centrisme d'Emmanuel Macron de ceux de Giscard. On avait le sentiment, ces jours-ci, qu'il était devenu l'exécuteur testamentaire ou le nécrologue en chef de cette France-là et des espoirs parfois un peu courts des années 70. Il le fait avec brio. Il faut espérer, pour lui comme pour la France et les Français, que sa présidence ne se limite pas à un long requiem pour une France défunte... Fût-ce sur une chanson poignante de Johnny ou un beau subjonctif imparfait résonnant dans la cour des Invalides...

Et on peut se demander si la tristesse et l'émotion ne sont pas d'autant plus fortes qu'elles n'osent, consciemment ou pas, examiner toutes leurs causes et notamment celle-ci : quelle France leur avons-nous laissée ?

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09 décembre 2017 à 9:02

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