Il y a quarante ans, Jacques Brel tirait sa révérence... Revenu des îles Marquises pour soigner son implacable cancer, il y retournera, dans l’indifférence quasi générale, à bord cette fois d’un cercueil, poursuivi par la meute des charognards de la presse people. "Mourir couvert d'honneur Asphyxié sous les fleurs Mourir en monument" , ce n’était pas vraiment son truc. D’ailleurs, ni la France de Giscard ni la frigide Belgique ne l’auront honoré d’une quelconque cérémonie officielle. Un saltimbanque, "Chez ces gens-là, monsieur", n’était pas digne d’entrer aux Invalides. D’autant que Valéry Giscard d'Estaing, alors « résident de la République », comme chanterait Bashung, lui préférait Clo-Clo, qu’il considérait « comme l’équivalent des Beatles français », allant jusqu’à accompagner Claude François, au piano électronique et même au chant, lors d’un sapin de Noël à l’Élysée. « Mourir sous le manteau , tellement anonyme, tellement incognito que meurt un synonyme. »

De toute façon, l’abbé Brel - comme l’appelait malicieusement Brassens - détestait les canonisations, fussent-elles posthumes. "Parce que les fleurs, c’est périssable".

Quarante ans plus tard, l’hommage - mieux que national, presque universel - lui vient de la rue, du nombre inouï de manifestations à sa mémoire, un peu partout en France, en ce mois d’octobre, où l’on n’a jamais autant évoqué son immense talent en autant de spectacles ou de concerts. Et pour les inconditionnels, qui ne supportent pas les reprises d’un quelconque Bruel ou d’une languissante Gréco, on retiendra la très bonne compilation de Jacques Brel en CD (vingt titres de 1956 à 1977) - six pieds sous terre, tu chantes encore - publiée par Le Monde et Télérama avec un beau livre de textes et de photos, ainsi qu'un fac-similé d'articles sur Brel parus dans Le Monde et Télérama entre 1961 et 1994 (dont un publié au lendemain de sa mort). Fred Hidalgo, fondateur du mensuel Paroles et Musiques, de la revue Chorus, retrace quant à lui les dernières années de la vie de Jacques Brel dans un récit intitulé Jacques Brel, Le voyage au bout de la vie, publié aux éditions l’Archipel.

"Jef", "Madeleine", "Jojo", "Mathilde", "Jacky", "Les Vieux", "Les Bourgeois", "Ces gens-là"… Nous sommes tous orphelins de Brel ou de Ferré. "Il n’y a plus rien !" déclamait ce dernier dans de grands récitatifs en prose, trempés de désespoir… Il n’y a plus rien ? Dire que Jacques est mort... Moi, si j'étais le bon Dieu, je crois que j'aurais des remords... Il n’y a plus rien ? Si, si, il y a Stromae et son tube "Formidable" : sous prétexte qu’il est belge, le jeune homme, on veut nous faire prendre ses vessies électro-pop pour des lanternes brelliennes. Mais soyons sérieux : Stromae est à cent lieues, à des années-lumière du talent de son aîné !

Jacques Brel ne se prenait pas, pour autant, pour un poète, ne revendiquant pas même le nom d'artiste mais celui d'artisan. "Si j’avais été poète, j’aurais été Rimbaud ; compositeur, j’aurais été Mozart. Je ne suis ni l’un ni l’autre, je suis chanteur." Jacques Brel n’est pas mort, il vit en chacun d’entre nous. Plus vivant que jamais… "Le vrai tombeau des morts, c’est le cœur des vivants", écrivait Jean Cocteau. Aujourd’hui, comme il y a quarante ans, l’on a du mal, avec Brassens, à croire en sa mort : "Non, je ne pense pas qu’il soit mort… Avec ce qu’il a fait, avec ce qu’il a écrit, avec ses qualités d’homme et ses qualités d’écrivain, d’auteur, comment voulez-vous l’enterrer ? Il est là plus vivant que jamais !"

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22 octobre 2018 à 17:05

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