Interpellé dimanche, Alexandre Djouhri va-t-il parler ?

Alexandre Djouhri a été interpellé le dimanche 7 janvier à l'aéroport d'Heathrow à Londres à la suite de la délivrance d'un mandat européen à son encontre.

Contre toute attente, alors que le représentant de l'accusation avait conclu à sa mise en détention, la juge britannique l'a placé sous contrôle judiciaire avec remise de son passeport et versement d'une caution d'un million de livres. Au cours de cette instance, Alexandre Djouhri s'était présenté comme "ancien conseiller des Présidents Chirac et Sarkozy". Les précautions prises pour stabiliser cet homme à la mobilité extrême seront-elles suffisantes ?

L'audience pour décider de son extradition aura lieu le 17 avril.

Je dois faire un aveu. Durant si longtemps, on a tant parlé de Djouhri sans le voir que je finissais par douter de son existence.

Puissant, omnipotent, insaisissable, passant d'un pays à l'autre, immensément riche, ayant des amis et des obligés partout, un passé trouble, délétère mais, paraît-il, un casier sans condamnation, parti de presque rien pour arriver au sommet de l'influence, on lui prêtait beaucoup et lui-même semblait rendre sans compter, capable de nouer et de dénouer des relations, à cheval sur tant de mondes, politique, finance internationale, contrats, Afrique, Maroc, armes, pétrole, tractations, intermédiaire très sollicité et dispensant moult services.

Bref, une sorte de personnalité mythique, quasiment invisible, un Fantômas d'aujourd'hui. Une réputation sulfureuse, une aura redoutable et fascinante. Un homme qui ne s'arrêtait pas à une seule mission mais en menait beaucoup. De l'entregent à foison. Protégé et protecteur. Une figure tutélaire dans l'ombre qui veillait sur certaines de ses relations haut placées.

Interpellé dimanche dernier, j'ai donc su que Djouhri était en chair et en os.

Extradé ou non, il est plus que probable qu'il ne dira rien. Un homme de sa trempe et avec de tels mystères en lui n'ouvrira pas la bouche sauf, sans doute, pour s'abriter derrière les illustres qu'il a connus ou connaît et qui témoigneront peut-être de sa parfaite moralité. Ou non. La peur dominera ou la sincérité ?

Grâce à Mediapart, on sait ce qui a été découvert lors de la perquisition opérée à son domicile genevois. Une lumière crue a été jetée sur ses liens avec Claude Guéant - celui-ci a reçu une commission de 500.000 euros qui a servi à payer un appartement et d'autres éléments semblent démontrer que sa version fantaisiste sur les deux tableaux a été inspirée et fabriquée par Djouhri, l'un des experts désignés ayant été en cheville avec ce dernier dans le passé. Dominique de Villepin a été également bénéficiaire d'un virement émanant du même compte panaméen au nom de Djouhri.

Qu'on ne vienne pas soutenir que, venant de Mediapart, ces informations sont à prendre avec précaution. Au contraire, tout ce qu'a publié Mediapart sur Djouhri et ce cercle est confirmé et justifié.

Edwy Plenel est un intellectuel à deux têtes. Sur l'islam, l'immigration et Charlie Hebdo, il a été délirant à mon sens et dangereux. Pour l'investigation, son équipe et lui sont incontestables.

Quand j'ai lu les extraits d'échanges téléphoniques de Djouhri avec Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, Bernard Squarcini, Dominique de Villepin et Alain Marsaud (Canard enchaîné, BFMTV), je me suis demandé dans quel univers on vivait pour qu'au moins trois personnalités politiques de haut niveau acceptent de dialoguer, de manière aussi familière, voire vulgaire, avec un individu dont elles savaient qu'il était recherché et n'ignoraient pas son implication rien moins que transparente dans beaucoup de combines et de marchés.

Naïf, trop naïf. En 2013, 2014 et 2015, Djouhri est comme un copain avec qui on discute de tout et qui sera même invité à Alger à la réception de l'ambassadeur de France le 6 décembre 2017 (L'Express).

Par des raccourcis sans doute trop rapides, je m'interroge sur un président de la République, sur un Premier ministre, sur un ministre qui ont été aux affaires et qui ont pu, plus tard, faire des affaires avec Alexandre Djouhri.

Ils l'abandonneront peut-être. Mais lui saura garder en mémoire les éventuelles trahisons amicales. Il dispose de cette immense force : il sait qu'ils savent que s'il parle, tout éclate.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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