Guillaume Bernard : « Les européennes seront une épreuve rude pour Laurent Wauquiez et LR »

Guillaume Bernard : « Les européennes seront une épreuve rude pour Laurent Wauquiez et LR »

Guillaume Bernard analyse, en exclusivité pour Boulevard Voltaire, le débat entre Laurent Wauquiez et le Premier ministre Édouard Philippe. Pour lui, c'était "un débat de techniciens". Sur l'immigration, "le débat a porté sur les flux migratoires, pas sur l'identité". "Laurent Wauquiez essaie d'avoir un discours de droite mais son logiciel est bloqué : il n'a jamais osé envisager ni l'assimilation ni la remigration pour les personnes qui portent atteinte au corps social."

https://youtu.be/dqEzV6rkAhI

Hier soir, devant seulement 2 millions de téléspectateurs, le Premier ministre, Édouard Philippe, et le président des Républicains, Laurent Wauquiez, ont débattu pour la première fois.
Sur la forme, qu’avez-vous pensé de ce débat ?

C’était un débat attendu. Il faut bien reconnaître que dans la forme, il a été assez glacial. Ce n’était pas très enthousiasmant. Ça ne veut pas dire que les arguments échangés n’avaient pas d’intérêt, mais il n’y avait pas vraiment de perspective. C’était un débat de techniciens. Ils se sont battus sur des chiffres sans qu’il y ait véritablement d’engouement ou de volonté de tracer des perspectives et de défendre une ligne politique très claire.
Les gens retiendront un débat policé, intéressant, mais sans grand enthousiasme.

Sur 26 minutes de débat, 21 minutes ont été consacrées à la question de l’immigration et à peine 5 minutes ont été consacrées à l’Europe.
Pourquoi Laurent Wauquiez a-t-il directement attaqué le gouvernement sur le problème de l’immigration ? Est-ce parce que l’Aquarius croise entre la France et Malte ?

Je crois que la question de l’immigration est une vraie question. Dans les années 80 et 90, elle n’était pas une question légitime en politique. Elle l’est devenue.
Laurent Wauquiez sait très bien que l’écrasante majorité du peuple de droite considère que c’est un problème qu’il faut régler. Par conséquent, je ne sais pas s’il a traité la question par conviction ou par volonté de répondre aux angoisses de l’opinion publique. En tout cas, il a eu raison de traiter de cette question de l’immigration.

Laurent Wauquiez était assez offensif notamment sur le passé politique d’Édouard Philippe. Ils appartiennent en effet, au départ, tous les deux à la même famille politique et Édouard Philippe reste proche d’Alain Juppé.
Laurent Wauquiez était peu enclin à aller sur le sujet européen. Pourquoi, selon vous ?
Craignait-il qu’on lui reproche d’avoir un manque de cohérence entre une ligne anti-Europe et une très pro-Europe, et donc un peu du "en même temps" qu’il reproche à Emmanuel Macron ?

Édouard Philippe a défendu la ligne macronnienne et l’Europe des progressistes contre l’Europe des populistes. Laurent Wauquiez a cherché une voie intermédiaire qui n’est pas sans intérêt et sans intelligence, mais qui va évidemment être difficile à tenir.
Dans le fond, il cherche l’origine du problème de la construction européenne. La construction européenne a-t-elle changé de nature après l’effondrement du mur de Berlin, avec l’élargissement qui a eu lieu après, ou l’emballement depuis le traité de Maastricht à partir de 1992 ou contenait-elle dès le début une ambiguïté ?
Il est certain que l’effondrement du mur de Berlin a changé la donne. Mais on peut aussi se poser la question de savoir si l’identité de l’Europe et la civilisation européenne, qui étaient dans les discours de Robert Schumann pour justifier la construction européenne, étaient véritablement l’objet de cette construction ou seulement prétexte.
Si la civilisation européenne n’était qu’un prétexte dans la construction européenne, on pourrait presque dire que l’Union européenne est presque vérolée depuis le début.
Si, dès le départ, la construction européenne est sujette à caution, il sera difficile de trouver une voie consistant à dire : "il faut refaire l’Europe", ce qui serait une voie intermédiaire entre l’idée défendue par Macron de continuer l’Union européenne, et celle défendue par les populistes d’abandonner l’Union européenne.

On a du mal à voir l’espace politique que pourrait occuper le parti Les Républicains pendant les débats des Européens.
Ce sera très probablement une lutte binaire entre les pro et les anti-Europe. En Marche contre le Rassemblement national, les Insoumis et éventuellement la liste menée par Dupont-Aignan. Laurent Wauquiez sera complètement bloqué au milieu et sa troisième voix risquerait d’avoir du mal à trouver son public.

LR est dans une stratégie du grand écart. Il veut essayer à la fois de maintenir dans le parti des personnes qui ont des tendances centristes et qui auraient envie de basculer chez Macron et de l’autre côté, essayer de maintenir les électeurs qui, eux, sont des électeurs vraiment de droite et qui sont devenus très suspicieux vis-à-vis de la construction européenne.
La construction européenne et les élections européennes sont pour LR une épreuve assez rude. Il faut à la fois essayer de maintenir l’unité du parti, tout en ne laissant pas trop d’espace politique au Rassemblement national ou aux autres listes comme celles de DLF ou peut-être d’autres listes à venir.
C’est pour cela que Laurent Wauquiez a voulu traiter de l’immigration. Cela lui permettait d’affirmer une position plutôt droitiste. Les positions qu’il a prises et les mesures qu’il préconise, les quotas, la remise en cause du droit du sol, la limitation de l’AME aux soins d’urgences sont des mesures parfaitement défendables et très recommandables.
Ce débat, je le dis encore, était un débat de technicien qui a porté sur les flux migratoires et pas du tout sur la question de l’identité. C’est là que l’on retrouve l’ambiguïté et le côté délicat du positionnement de Laurent Wauquiez. Il a parlé des difficultés d’intégration, il n’a pas parlé de l’assimilation. Cela qui montre bien qu’il essaie d’avoir un discours vraiment de droite, mais il est presque bloqué dans son logiciel sur des positions qui sont à droite, mais qui ne sont pas véritablement de droite. Lors du débat, aucun des deux n’a envisagé la remigration. C’est pourtant une mesure de bon sens. Les personnes qui refusent l’assimilation et qui portent atteinte à l’existence même du corps social et troublent l’ordre public devront être concernées par une telle mesure.
Or là, ni l’assimilation ni la remigration n’ont été envisagées pas nos débatteurs, alors même que l’un des deux essaie de tenir des positions de droite. C’est très significatif. Malheureusement, nos hommes politiques raisonnent davantage avec des stratégies visant à se positionner par rapport aux autres partis politiques, beaucoup plus que de défendre une doctrine cohérente et des valeurs qui permettraient de constituer une grande force politique de droite.
Dans le débat, Édouard Philippe a explicitement dit qu’il voulait pour les élections européennes, essayer de constituer une liste de rassemblement au-delà des partis politiques. C’est ce que je préconise et j’incite nos hommes politiques de droite à essayer de le faire avec notamment l’Appel d’Angers et constituer une force politique au-delà des actuels partis politiques sur la base de valeurs communes. Encore faut-il que nos hommes politiques identifient ce que sont vraiment leurs valeurs.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 01/10/2018 à 7:47.
Guillaume Bernard
Guillaume Bernard
Politologue et maître de conférences (HDR) de l’ICES

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