Au micro de Boulevard Voltaire, Guillaume Bernard pour analyser le mouvement des gilets jaunes.

Le mouvement des gilets jaunes a débuté ce dimanche. Visiblement, il continue dans plusieurs villes de France.
Pouvez-vous nous expliquer ce mouvement ?

C’est la combinaison de deux caractéristiques. D’abord, ce mouvement rassemble des Français qui travaillent ou aimeraient travailler. Il y a des chômeurs parmi eux. En tout cas, ce sont des Français qui voudraient vivre de leur travail, mais qui n’y arrivent pas, parce qu’ils sont asphyxiés par la pression fiscale.
Ensuite, ce sont des Français de la France périphérique, comme ion dit maintenant, c’est-à-dire ceux qui connaissent le démaillage des services publics. Ils sont, d’une certaine manière, livrés par l’État, par la puissance publique, à une concurrence déloyale due à la mondialisation.
On pourrait dire que c’est contradictoire, parce que d’un côté ils dénoncent une pression fiscale trop forte et de l’autre, ils constatent un recul des services publics. En fait, c’est parfaitement cohérent. L’augmentation de la pression fiscale avec, en parallèle, le démaillage du service public et l’incapacité d’exercer véritablement une profession rentable par un travail, expliquent ce mouvement de ras-le-bol. Et il est donc extrêmement difficile de savoir ce qui va en advenir. Il y a une exaspération et une colère très noire qui pour eux est difficilement acceptable.

Le gouvernement a montré qu’il ne souhaitait pas céder. Benjamin Griveaux, Sébastien Lecornu et Édouard Philippe ont dit qu’ils entendaient cette colère, mais maintiendraient le cap. On en revient à ce qui leur a été reproché à la base, c’est-à-dire une fracture entre le pays réel ou le pays légal pour citer Benjamin Griveaux qui sans le savoir citait Charles Maurras, et non pas Marc Bloch...

Jusqu’à présent, la puissance publique était habituée à avoir en face d’elle des mouvements canalisés et encadrés par des associations politiques ou des organisations syndicales. Or là, il s’agit du pays réel, la base qui s’est organisée elle-même. 250 000 personnes, même s’il y en avait sans doute plus, en quelques semaines et sans aucune organisation sont parvenues à se mobiliser. C’est évidemment un énorme succès.
L’État pense que cette contestation va s’épuiser et joue là-dessus, parce qu’elle n’est pas organisée, qu’elle est délocalisée et décentralisée et qu’il n’y a pas de meneur. Je crois au contraire qu’ils commettent une assez grave erreur. Bien sûr, ce mouvement peut s’étioler, mais il peut aussi énormément se développer.


Ce qui est frappant chez les gilets jaunes, vous l’avez évoqué, c’est cette absence de coordination. Cette France-là n’est pas habituée à manifester aussi massivement. On a l’impression que ce n’est pas juste la hausse du diesel, mais quelque chose qui vient du fond des tripes, et qu’Emmanuel Macron paie les pots cassés de 30 ans de politique de ses prédécesseurs …

Il y a plusieurs éléments très importants. Effectivement, la hausse du diesel est l’effet déclencheur, mais c’est beaucoup plus profond que cela. Il y a l’exaspération fiscale, mais aussi, d’une certaine manière, la revendication d’être pris en considération, le fait de ne pas être abandonné par la puissance publique, tout en voulant justement limiter la puissance publique.
Le 2e élément très important est que c’est venu de la base. Cela montre bien que la réussite de ce mouvement est la preuve que les organisations politiques et syndicales ne sont plus du tout en phase avec le pays réel. D’une certaine manière, l’offre politique est insuffisante. Aucun des partis n’essaie véritablement de récupérer ce mouvement, parce que tout simplement, ils n’en ont pas les moyens et ils n’en sont pas capables. L’offre politique est insatisfaisante. Cela prouve que l’on peut monter un mouvement venant de la base et du tissu social réel en se passant des organisations actuelles. C’est bien le signe qu’il va falloir renouveler l’offre politique. Elle est totalement défaillante aujourd’hui.

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19 novembre 2018 à 21:52

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