Guilllaume Bernard analyse les vœux du Président Macron, mais aussi les conséquences du mouvement des gilets jaunes sur toute la vie politique : "Aucune offre politique ne répond à ce mouvement." "Il n'y aura pas de retour à la sérénité sans une réorganisation du spectre politique, notamment à droite."

Emmanuel Macron s’est exprimé le 31 décembre devant les Français et a tiré un bilan de cette année politique à un moment où son quinquennat prend un tournant dramatique pour sa majorité. Il était, notamment, très attendu sur la question des gilets jaunes. Qu’avez-vous retenu des mots du président de la République ?

D’abord, il avait incontestablement beaucoup travaillé la forme et le contenu de son discours. Il a utilisé beaucoup de termes pour essayer de capter, de séduire et de toucher les différents segments du corps électoral.
Cela dit, on a surtout retenu qu’il réduisait les gilets jaunes à de la colère et non pas à des propositions concrètes. Pourtant, il y en a. Deuxièmement, il essayait de les assimiler à une foule haineuse.
Cela montre encore une fois qu’il est à contretemps. Ne pas avoir du tout annoncé une réforme des institutions et la possibilité d’y introduire le référendum d’initiative populaire me semble une grave erreur. Annoncer un débat d’où sortira un rapport qui, lui-même, pourrait peut-être servir ensuite, de manière très hypothétique, à quelque chose n’est pas du tout suffisant dans l’état actuel des choses.
Au départ, les gilets jaunes étaient une jacquerie antifiscale. Elle s’est ensuite transformée en une véritable contestation politique, "Macron démission". Mais, aujourd’hui, on en est arrivé aux prémices d’une crise de régime. Il me semble donc qu’Emmanuel Macron était à contretemps.
Il a voulu rassurer ses partisans et montrer qu’il était debout. C’est, d’ailleurs, la position physique qu’il a prise. Il a voulu aussi montrer qu’il était d’attaque et qu’il allait continuer la politique pour laquelle ceux qui l’ont élu lui ont permis d’arriver à l’Élysée.
Je crains, toutefois, qu’il y ait un décalage de plus en plus grand et que la défiance vis-à-vis du personnel politique qui se focalise sur Emmanuel Macron, touche l’ensemble de la classe politique et que sa réponse soit donc parfaitement insuffisante.
Dans le spectre politique, il y a bien sûr des parties contestataires. Ils peuvent les uns et les autres espérer capter le mouvement des gilets jaunes. Mais il faut bien se rappeler que ce mouvement est né hors parti et syndicat. Donc, comparés aux gilets jaunes, les partis anti-système, c’est aussi le système.
Je crois donc que l’on est en face des prémices d’une crise de régime. Et la réponse d’Emmanuel Macron a sans doute satisfait ceux qui l’ont élu, mais beaucoup moins ceux qui n’ont pas voté pour lui, les abstentionnistes comme ceux qui avaient fait d’autres choix au premier ou au second tour de l’élection présidentielle.

Ce discours du 31 décembre fait écho de manière assez sinistre à son discours du 31 décembre 2017. Il avait dit que l’année 2018 serait l’année de la cohésion.
Visiblement, il va falloir encore attendre un peu…

En effet, il en est très très loin. Il y a une distorsion de plus en plus grande entre ce que l’on appelle la France d’en haut et la France d’en bas, les élites mondialisées et la France périphérique.
Incontestablement, les mots qu’il a utilisés ne répondent pas à cette angoisse. Cela ne veut pas dire que toutes les revendications parfois disparates des gilets jaunes soient entendables ou acceptables. En revanche, il est bien évident que le référendum d’initiative populaire est vraisemblablement la seule soupape de sécurité permettant au système de se maintenir. C’est-à-dire permettre aux Français de s’auto-saisir d’une question et de la trancher.
Le reste me semble être des mots qui ne toucheront pas les personnes. Je vous rappelle qu’il a parlé du capitalisme financier qui était sinon condamnable, du moins discutable. Je trouve qu’entendre ces mots de la bouche d’Emmanuel Macron, qui supprime l’ISF sur le capitalisme financier alors qu’il le maintient sur l’immobilier, c’est assez ubuesque.

D’un côté, les partis politiques d’opposition essaient de récupérer et de juguler cette colère. De l’autre, les gilets jaunes se retrouvent, soit face à ces partis politiques; soit face à des gens qui disent les représenter. Pour l’instant, ils ont le choix entre Francis Lalanne et Alexandre Jardin…

Il est assez important de s’interroger sur cet aspect. Est-ce que les gilets jaunes doivent ou peuvent se transformer en un parti politique ou présenter, du moins, une ou des listes aux prochaines élections européennes ?
La réaction des partis politiques qui ont voulu les dissuader de cela me paraît un peu étonnante. Grosso modo, c’est "ne touchez pas au grisbi, les affaires politiques, les places et les mandats, c’est pour nous". C’est étonnant, et pas très convaincant.
En revanche, on peut s’interroger sur le fait que si les gilets jaunes représentent une demande de démocratie directe, se présenter à des élections peut apparaître comme quelque peu contradictoire.
Il est certain qu’aujourd’hui, aucune offre politique ne répond véritablement au mouvement des gilets jaunes. Si un certain nombre de partis réussit à intégrer socialement et politiquement ces Français qui, pour beaucoup, sont des abstentionnistes, il y aura une canalisation de ce mouvement. Autrement dit, cette canalisation prendra effet à partir du moment où il y aura une augmentation de la participation aux élections européennes, par rapport à 2014. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Même si le Rassemblement national semble tirer le mieux son épingle du jeu, il ne fait néanmoins que revenir, selon les sondages, à son niveau de 2014. Il n’y a donc pas de véritable progression.

L’appel du pied de Mélenchon à Drouet nous fait penser qu’aux dernières élections européennes, Édouard Martin était ce syndicaliste qui avait mené la fronde des ouvriers d’ArcelorMittal face à l’État. Édouard Martin est rentré au Parlement européen et les ouvriers d’ArcelorMittal sont au chômage. Ce sont donc toujours les mêmes ficelles politiques qui sont réutilisées. Pour faire taire une opposition, il faut lui proposer des postes…

Effectivement, beaucoup de gens veulent récupérer cela. Je pense que la meilleure force des gilets jaunes est de maintenir leurs revendications et de ne pas rentrer dans les partis politiques. C’est mon sentiment et non une vérité révélée tombée du ciel.
La caractéristique du mouvement des gilets jaunes, c’est qu’ils sont nés hors parti et hors syndicat. Et l’offre politique d’aujourd’hui est défaillante.
Certes, Emmanuel Macron est en très grande difficulté, mais il n’empêche qu’il a incarné une recomposition du spectre politique. Si les autres partis politiques veulent d’un côté répondre à la demande des gilets jaunes et, de l’autre, être une alternative crédible à Emmanuel Macron, il faut qu’eux aussi se recomposent.
Il n’y aura pas de retour à la sérénité et à la confiance des citoyens dans les partis politiques s’il n’y a pas une réorganisation du spectre politique.
Pour ma part, je pense que cette recomposition viendra plutôt par la droite du spectre politique, ce que j’appelle le mouvement dextrogyre. Incontestablement, il y a pour la droite une possibilité de se recomposer au-delà des actuels partis politiques. Le peuple de droite ne trouvera pas son unité si on reste avec les organisations telles qu’elles existent actuellement et qui sont dans l’incapacité de s’allier ou de trouver des compromis suffisants.

Les gilets jaunes sont-ils la dernière chance de la droite pour se recomposer ?

Oui, c’est un coup de semonce. C’est bien le signe que l’offre politique est insuffisante et défaillante. Il faut donc pouvoir répondre à cette demande, mais certainement pas avec le jeu d’appareils tel qu’ils existent aujourd’hui, mais sur la base de valeurs, de principes et de propositions concrètes.

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02 janvier 2019 à 19:58

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