Le premier jour de la grève distillée par les cheminots depuis avril, un chirurgien orthopédique de Pontault-Combault a affiché sur sa porte un message clair : "En raison d'un mouvement social, le Dr X. ne recevra ce jour aucun salarié de la SNCF." En ajoutant : "En cas d'urgence, ces derniers sont donc invités à consulter à la clinique de Nogent-sur-Marne en prenant le RER E, puis le RER A à Val-de-Fontenay ; prévoir 1 RER sur 3 (environ 3 heures)." Et, aggravant son cas, il précise qu'à bientôt 58 ans, il travaille depuis près de six ans "pour payer des retraites à des gens plus jeunes que lui" avec une pensée pour ceux qui appuyent "sur un bouton et une pédale", "le cul sur une chaise", "6 h 37 par jour".

Comme on pouvait s'y attendre, FranceInfo - jamais en retard d'une traque aux mal-pensants - lui a tendu aussitôt le micro : "C'était une plaisanterie. Si un cheminot se présentait, bien sûr que je le prendrais. En pratique, je n'ai jamais refusé personne."

Hélas, ce confrère ignore apparemment que, de nos jours, en France, la boutade et la mise en boîte suffisent à vous attirer de gros ennuis. Parce qu'il s'est trouvé un citoyen vertueux, sans doute un peu téléguidé, pour porter plainte devant l'Ordre départemental des médecins de Seine-et-Marne, lequel sera donc obligé de l'instruire.

Le premier acte obligatoire de la procédure (totalement gratuite pour le plaignant…) sera donc une tentative de conciliation. À moins que le médecin ne fasse son acte de contrition et ne se flagelle devant son accusateur, elle a tout risque d'échouer car, en face, le plaignant alléguera la souffrance morale insoutenable et persistante que lui a causée l'affichette. Il s'insurge, d'ailleurs, dans un courriel consulté par FranceInfo : "Demain ce sera quoi : un refus d'une couleur de peau, d'une origine, d'une orientation sexuelle...!?" On voit que le point Godwin n'est pas loin et, dans ces cas-là, on a rarement vu l'accusateur retirer sa plainte.

L'affaire ira donc de droit devant la chambre régionale qui, en bonne justice, devrait relaxer le Dr X. En effet, le code de déontologie est limpide : "Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles. S’il se dégage de sa mission, il doit alors en avertir le patient et transmettre au médecin désigné par celui-ci les informations utiles à la poursuite des soins." En résumé, s'il n'y a pas d'urgence et que le médecin prend soin de flécher un parcours de substitution pour le patient (ce qui est bien le cas ici), il est parfaitement en droit de refuser de s'en occuper. Il est même précisé qu'il n'est pas obligé d'expliquer ses raisons.

Admettons que le Dr X. soit relaxé. Le plaignant peut faire appel devant la chambre nationale. Pourquoi hésiterait-il, puisqu'ici aussi, c'est gratuit ! Et là, on change de monde : autant les jurés de première instance sont des confrères locaux "classiques", autant ceux de la chambre d'appel sont, pour beaucoup, des médecins "politiques", sur le modèle de Charles Vanel dans "Sept morts sur ordonnance", présidés par un conseiller d'État (caste bien connue pour son sens de l'humour) et qui appliquent la politique maison selon laquelle un médecin n'a que deux droits : soigner et fermer sa…

Et comme le Code prévoit que tout médecin doit s'abstenir "de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci", et que le flou de cette notion autorise les interprétations les plus extensives, il ne reste plus qu'à conseiller au Dr X. de prendre un bon avocat qui lui, ne sera pas gratuit…

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08 juin 2018 à 14:29

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