Grâce à Françoise Nyssen, l’AFP et Le Monde vont « (ré)éduquer » nos enfants aux médias

Le ministre de la Culture a annoncé un plan pour l’éducation aux médias, en trois volets : "Une amplification sans précédent de l’action des associations et de l’engagement des journalistes qui font cette sensibilisation dans les écoles ; ce même déploiement au sein des bibliothèques-médiathèques et la création d’une plateforme commune des sociétés de l’audiovisuel public pour le décryptage de l’information et l’éducation aux médias." Quel programme ambitieux, n’est-ce pas ? Presque indigeste dans sa formulation.

Il faut dire qu’avec toutes les fake news qui circulent, avec ces adolescents qui répètent à l’envi que « c’est vrai », puisque « c’est écrit sur Internet », il faut bien faire quelque chose ! Alors, on va les éduquer aux médias. Notre ministre cite, notamment, parmi les partenaires de cette action, l’association Entre les lignes, rassemblant des journalistes de l’Agence France-Presse et du Monde, qui anime des ateliers auprès de jeunes collégiens et lycéens. Leur objectif ? "Susciter l’esprit critique des générations futures, exercer leur œil et les sensibiliser aux sources et aux fausses informations."

Le ministre de la Culture leur adresse ainsi un certificat de respectabilité. Ils le méritent sans doute parfois, mais pas plus que les autres. Comme dans toute la presse, leurs écrits traduisent leur manière de voir, leur sensibilité politique, et même leurs préjugés. Se présenter comme un modèle est quelque peu prétentieux. Le seul critère qui permette de mesurer la valeur d’un journal, c’est son degré d’honnêteté intellectuelle. Ce n’est pas si courant.

Les professeurs n’ont pas attendu cette initiative pour chercher à développer l’esprit critique de leurs élèves. C’était la grande mode, autrefois, de confronter le traitement d’une même information dans plusieurs journaux. Très instructif ! Nul besoin de « fausses nouvelles » pour comprendre qu’en partant de la même matière, on peut dire tout et son contraire. Selon ce qu’on retient, omet, souligne, l’information prend une autre signification.

Rien de nouveau, donc, sous le soleil. Sinon qu’on ouvre le ban, qu’on se donne de l’importance, qu’on se prend au sérieux : on s’organise, on met en garde, on veut donner des leçons. D’où tire-t-on sa légitimité ? À supposer qu’il soit utile d’analyser avec les élèves le processus de rédaction ou de pratiquer des espèces de travaux pratiques journalistiques, encore faudrait-il avoir recours à un éventail représentatif de journaux. Mais on peut craindre que la sélection ne soit dure, les choix manichéens : ceux qui ne se conforment pas à la pensée unique seront immédiatement signalés comme suspects ou dangereux.

Il ne suffit pas de mises en garde pour développer le jugement critique. Surtout quand elles sont à sens unique. Sinon, on formera des esprits plus prompts à réagir par réflexes conditionnés qu’à réfléchir par eux-mêmes. Le chien de Pavlov, quelle perspective enthousiasmante ! Pour ne pas se laisser piper par de fausses apparences, ne pas être abusé par des propos trompeurs, pour approcher la vérité, il faut avoir l’esprit curieux, puiser à diverses sources, refuser le prêt-à-porter intellectuel.

Rien n’est plus contraire à la liberté de l’esprit que la soumission à la pensée unique.

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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