Funérailles de Johnny : j’y suis allé !

Immense. Phénoménal.

J'imaginais bien la multitude, l'hommage populaire, les larmes et la nostalgie.

Mais pas à ce point.

J'entends les questions des journalistes de terrain sur France 2 et, aussi banales qu'elles soient, elles ne parviennent pas à dissiper l'émotion de ceux qui répondent.

Il y a trop de monde. Je regarde la télévision et je me sens bien.

Je songe, par exemple, à François Reynaert qui, sur Radio Classique, développait brillamment la thèse que la France, officiellement, n'aurait pas dû être engagée dans le chagrin singulier et collectif de tous ceux, nombreux, pour qui Johnny était une idole. Et il me semblait pertinent.

En même temps, à la réflexion, on est bien obligé de se dire que Johnny incarnait d'une certaine manière la France.

Il a constitué une passerelle, un pont, entre toutes les générations et, pour chacune, il a été une référence. Chaque Français avait la capacité d'avoir et de cultiver dans sa mémoire une chanson de Johnny et, à entendre cette foule, elle avait envie de le remercier parce que, dans les moments difficiles, douloureux ou festifs de l'existence de chacun, Johnny avait été présent, les avait aidés, consolés. Un ami invisible mais solidaire.

Ce que je ne mesurais pas était la richesse intime que Johnny avait été pour beaucoup et que ce fabuleux émoi populaire, cette effervescence multiple, composite et hétérogène constituaient la manifestation d'une reconnaissance éperdue. Chaque Français va aujourd'hui vers Johnny bien plus qu'il n'allait vers eux. Sa mort a fait beaucoup d'orphelins.

J'ai conscience aussi que la plénitude de cet hommage populaire signifie plus que la consécration d'un chanteur exceptionnel et d'une personnalité familière. Comme la politique est caractérisée par la mort de l'unité, l'unité de la mort, engendrée par la disparition de rares personnalités emblématiques - et Johnny plus que toute autre -, démontre à quel point il y a une attente. Le besoin d'un lien, aussi funèbre qu'il soit.

Je n'ai que trop tendance à fuir le collectif parce qu'il me met mal à l'aise. Cette multitude au-delà du raisonnable me fait peur. Pourtant, depuis toujours, je m'étais juré de n'aller, si je le pouvais, qu'aux funérailles de Johnny. Mais cette immensité est si tendrement, si chaleureusement, si sincèrement populaire.

Je renâcle, j'ai mauvaise conscience. Mais mon épouse me stimule et me rappelle ma promesse.

Et j'y vais avec elle.

Il faut rester fidèle à ses enthousiasmes et ne pas oublier qu'on est vivant.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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