« Le football est un régime totalitaire car il sature tout ! »

Robert Redeker : « Le football est un régime totalitaire car il sature tout ! »

Le philosophe Robert Redeker, auteur de Peut-on encore aimer le football ?, analyse les dessous de l'engouement pour le foot : règne de la consommation, de l'argent etc. Il évoque aussi Neymar, Albert Camus, la footballisation du rugby et le club de Castres ! Et il livre un pronostic inattendu en exclusivité pour Boulevard Voltaire ! À regarder d'urgence pour la Coupe du monde ! Et pour le bac philo !

 

https://www.youtube.com/watch?v=I2f8tc3mylQ&feature=youtu.be

Vous avez écrit un livre aux Éditions du Rocher: Peut-on encore aimer le football ?
Quand on vous lit, on a du mal à dire oui. Pourquoi affirmez-vous que c'est un régime totalitaire?

C’est un régime totalitaire dans la mesure où lorsqu’il y a une Coupe du monde, il est très difficile d’être à l’extérieur. Le temps et l’espace sont saturés, dans les médias, mais aussi dans la vie quotidienne, au boulot, en famille et à table. De quoi va-t-on parler? On va parler de cette coupe du monde.
Bien entendu et heureusement, il n’y a ni goulag ni milice bottée pour jeter les récalcitrants dans quelque camp, mais vous verrez que ce sera si difficile de refuser le football qu’on vous traitera d’associal et de misanthrope.

Le football serait totalitaire dans la mesure où on n’aurait pas le choix, on pensera football, on vivra football et on ne sera qu’au football. Ne reprochez-vous pas au football au fond d’être une fin en soi, alors qu’en fait c’est un peu le triomphe du vide?

Disons que le football triomphe, car tout le reste s’effondre et disparaît. L’univers du sens s’effondre et disparaît de nos vies et de nos sociétés. C’est aussi la substitution de la consommation et de la publicité effrénées. On voit très bien que le football s’articule à la consommation. Pourquoi nous montre-t-on autant de football à la télévision et dans les médias ? Pour nous faire acheter. Non seulement pour nous faire payer des droits sur les chaînes à péages, mais aussi pour acheter des revues, des t-shirts, des barres chocolatées, etc. Le football sert de support à la consommation. Finalement, le stade vous conduit au supermarché.

Ce que vous semblez critiquer dans le football, ce n’est pas le sport en lui-même, mais plutôt l’univers qu’il y a autour, les bénéfices, le marché alternatif et les sommes monstrueuses dépensées.

Critiquer le football en lui-même, le jeu pour le jeu serait complètement ridicule. L’âme du jeu est d’ailleurs contraire à ce que nous propose le mercantilisme de la coupe du monde. L’âme du jeu est, au fond, la gratuité. On joue pour le plaisir, pour respirer, pour le bonheur, pour être et jouer avec les autres. On joue pour rien, peut-être même pas pour gagner. C’est l’âme et l’esprit du jeu.
Lorsque le jeu devient un sport dans un système tout à fait mercantile, un système commercial, économique et planétaire, on voit qu’il a un tout autre objectif. L’objectif est alors de nous mettre dans la tête et dans le corps que les choses importantes sont la compétitivité, la réussite et la performance. Compétitivité, réussite et performance appartiennent au vocabulaire des politiques. Les politiques, en particulier notre président actuel, reprennent le vocabulaire footballistique. L’articulation entre les deux est très intéressante. On cherche, à travers le spectacle du football, une sorte de règle de conduite et de catéchisme.
« Vas-y mon vieux, la France c’est ton équipe, il faut être compétitif, il faut en vouloir. » C’est la dépolitisation. Tout se passe comme si au sommet de l’État, lorsqu’on s’adresse à nous en faisant mine de s’adresser aux joueurs de l’équipe de France, on voulait que nous fussions aussi dociles que des joueurs immatures à l’âme adolescente malgré leurs 25 ans.


Est-ce le catéchisme du football que vous dénoncez ?

Neymar ne sait pas ce qu’est Paris. En arrivant à Paris, il pensait déjà au Réal.
Je crois que Paris a un autre message à donner au monde. Jusqu’ici, Paris avait le charme de ne pas avoir d’équipe de football. C’était un charme très particulier, car aucune grande capitale n’était dans cette situation là.
On nous a dit que Paris attendait Neymar comme un « messie ». C’est une sorte de messianisme. Je crois que c’est trahir l’esprit parisien que de mettre son messianisme dans un simple joueur de foot. J’aime le football, je n’ai rien contre la personne de Neymar qui est un bon joueur. Mais enfin, ce n’est que Neymar.


Vous vous êtes beaucoup intéressé à la figure d’Albert Camus. Cet écrivain est largement servi à toutes les sauces par tous les éditorialistes et journalistes qui veulent défendre le foot à tout prix. Camus parlait du foot avec beaucoup de conviction et de bienveillance.
Vous dites :"ne faites pas dire à Camus ce que Camus n’a jamais dit."

On veut faire dire à Camus qu’il aurait découvert dans le foot plus sur l’être humain que dans les livres, les études, la pensée et la réflexion. Ce n’est pas du tout ce qu’il a voulu dire et ce n’est pas du tout ce que signifie son propos.
Il faut voir que le football de Camus n’est pas le football d’aujourd’hui que l’on veut justifier en se servant de Camus. Ce n’est pas le football spectacle, ce n’est pas le football pognon, ce n’est pas le football Wall Street. Si Camus avait connu le Mercato, cette sorte de foire à la viande humaine, cela l’aurait probablement dégoûté.
Qu’est-ce que le football était pour Camus ?
Il rapproche le football du théâtre. Il disait qu’il y avait deux moments dans la vie où il retrouvait l’innocence, lorsqu’il regardait un match de football et lorsqu’il était au théâtre. Pour Camus, le football est une fabrique d’innocence. Cela veut dire que le football vous libère du poids de l’Histoire du monde. L’innocence dans la philosophie existentialiste de Camus a un sens très très fort.
Il ne s’agit pas du tout de justifier le football business. Camus ne l’aurait jamais justifié. Sa perspective est hautement plus littéraire et morale que celle que l’on utilise aujourd’hui en se référant à lui.


Le foot business que tous les spectateurs de Boulevard Voltaire connaissent sont des centaines de milliards d’euros de budget chaque année.
La maladie qui touche le football va-t-elle selon vous toucher les autres sports ?

La footbalisation du rugby est malheureusement en marche. C’est sans doute lié à la catastrophe qui lui est arrivé, c’est-à-dire de devenir un sport professionnel. C’est évidemment la rapacité des médias qui l’a transformé en un sport professionnel. La footbalisation du rugby conduit à laisser à l’argent une importance de plus en plus grande. Le Mercato est maintenant arrivé dans le rugby. Certaines équipes comme Montpellier se constituent à coup de chèques très importants. Ils sont ridicules par rapport au football. Mais le rugby devient un sport de mercenaires, alors qu’il ne l’était pas.
À Castres, il n’y a pas d’individualité. C’est le collectif et l’équipe. Castres, centré sur ce fondamental-là du rugby, a réussi à étouffer l’équipe de mercenaires. Dans une équipe de mercenaires, il n’y a que des individualités. C’est précisément le contraire. Il y a quand même un message politique dans la victoire de Castres. On peut dire que c’est la victoire d’une équipe de gens réticents à l’individualisme débridé et au progrès de l’individualisme dans le monde contemporain. L’équipe de rugby de Castres est quelque chose qui sort d’un âge que l’on ne pouvait penser et disparu.


L’individualité est le reproche principal que les experts font à l’équipe de France.
Voyez-vous la France soulever la coupe du monde ?

Non, pas du tout. Si je suis raisonnable, je dois parier sur l’Allemagne, car c’est toujours l’Allemagne qui gagne. Mais j’aimerais que ce soit une équipe composée d’individualités aussi brillantes que l’équipe de France.

Robert Redeker
Robert Redeker
Professeur agrégé de philosophie, écrivain - Ancien membre du comité de rédaction de la revue Les Temps modernes, du comité scientifique du CALS (Université Toulouse-Le Mirail) et du comité de rédaction de la revue Des Lois et des Hommes.

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