On parle beaucoup, en ce moment, de la plate-forme en ligne APB (admission post-bac) qui constitue, selon Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, "un énorme gâchis". On pourrait en dire autant des ESPE – Écoles supérieures du professorat et de l’éducation, créées en 2013 pour remplacer les IUFM de sinistre mémoire –, qui ont un rôle primordial dans la formation et la titularisation des professeurs stagiaires.

Dans une tribune publiée récemment sur le site de Mediapart, un "professeur fonctionnaire étudiant stagiaire", comme on dit dans le jargon administratif, raconte les déboires qu’il a subis avec son épouse, également stagiaire. Sans trop entrer dans les détails techniques, rappelons que la titularisation se fonde sur une triple évaluation : inspecteur, chef d’établissement et directeur de l’ESPE.

Tous deux se sont vu reprocher des défauts imaginaires, sans qu’ils puissent se défendre. Si le concours reste encore – pour combien de temps ? – un mode de recrutement objectif, le stage devient trop souvent un moyen de contrôler l’adéquation du futur professeur à un modèle préétabli : le refus de titularisation permet d’exclure les rebelles.

On souhaiterait que la hauteur de vue des inspecteurs et des chefs d’établissement vînt toujours compenser le conformisme inhérent aux ESPE. Mais beaucoup d’entre eux, solidaires du système – carrière oblige ! –, se font complices du machin, voire les colporteurs des lubies pédagogiques. Comme s’ils éprouvaient une joie sadique à repérer les stagiaires qui n’entrent pas dans le moule et à les enfoncer !

Ainsi, l’auteur du témoignage est accusé, sans qu’aucune preuve n’en soit apportée, de privilégier sa thèse et sa vie personnelle au détriment de son année de stage, tandis que les notes attribuées à sa conjointe ont mystérieusement été diminuées pour lui ôter toute chance d’être titularisée.

Doutez-vous de l’authenticité de ce témoignage ? Ne serait-il pas altéré par la déception de l’échec ? Malheureusement, de nombreux stagiaires pourraient attester que c’est monnaie courante. Si vous en rencontrez, interrogez-les en leur garantissant l’anonymat ; demandez-leur ce qu’ils pensent de la formation reçue. Ils vous répondront invariablement qu’elle est, sauf exception, infantilisante, médiocre, à contretemps, qu’ils subissent un chantage à la titularisation pour les rendre dociles.

Les exemples foisonnent. Des normaliens, reçus brillamment à l’agrégation, se font licencier à l’issue de leur stage, sous prétexte qu’ils seraient incapables d’enseigner en réseau d’éducation prioritaire. Pire encore : il arrive qu’on les console en leur conseillant de se faire embaucher comme contractuels dans un rectorat en manque d’enseignants ! On voit des professeurs certifiés, irréprochables jusque-là, devenir soudain mauvais après avoir réussi l’agrégation interne, être rétrogradés dans leur corps d’origine. Les titres et les diplômes représenteraient-ils des tares pour enseigner ?

Les stagiaires recalés ont la possibilité de déposer un recours gracieux auprès de leur recteur : en vain, la plupart du temps, puisqu’on demandera leur avis à ceux-là mêmes qui ont refusé la titularisation. Parfois, après des années, un recours devant un tribunal administratif aboutit…

Tout cela se passe, non pas dans un régime népotiste où il convient avant tout de plaire pour réussir, ni dans une démocratie populaire qui normalise les esprits. Non ! C’est dans notre République, dans des ESPE où l’on vante la liberté et la créativité de l’élève, mais où l’on sanctionne le professeur qui ne suit pas à la lettre les recettes prescrites. De quoi désespérer ceux qui s’étaient lancés par vocation dans ce métier et les dégoûter définitivement de l’enseignement !

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19 juillet 2017 à 0:19

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