Toute l’Espagne était solidaire de la Catalogne frappée par le terrorisme islamiste. Le roi Philippe VI et le Premier ministre Mariano Rajoy étaient venus rejoindre la foule rassemblée à Barcelone. Cette image d’unité avait estompé la menace grandissante d’une sécession de la Généralité.

Pourtant, l’insistance du président Carles Puigdemont à se mettre en scène aux côtés du chef de la police catalane, les Mossos d’Esquadra, dont on ne cessait de vanter l’efficacité, n’avait pas pour but de montrer la volonté régionale de résister à l’islamisme, mais plutôt d’afficher la capacité catalane d’assumer une fonction éminemment régalienne : celle de la sécurité. Il fallait traduire : "Nous pouvons être un État souverain", avec sa langue et sa défense propres. M. Puigdemont est un malin. L’ambition politique se nourrit des occasions plus que du bien commun.

L’évolution de l’Espagne l’amène à bâtir ses réformes contre l’héritage du Caudillo. Entre 1936 et 1975, le franquisme avait centralisé. La monarchie constitutionnelle fondée sur la Constitution de 1978 a permis le retour aux fueros, aux droits propres aux régions notamment, ancrés dans la tradition espagnole. C’est ainsi qu’après le rétablissement de la démocratie, dix-sept « Généralités » ont été reconnues. La Catalogne est la plus puissante d’entre elles. Les partisans de l’autonomie et de l’indépendance y ont un poids considérable. Le Parlement élu en septembre 2015 a vu la victoire de la liste « Ensemble pour le oui » avec 62 sièges sur 135. La volonté d’indépendance était, dès lors, inscrite à l’ordre du jour. Le 6 septembre 2017, la majorité régionale, avec l’apport de la gauche indépendantiste (CUP), a approuvé par 71 voix sur 135 la tenue d’un référendum proposé aux Catalans : "Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous forme d’une république ?"

L’ennui, c’est qu’entre autonomie et indépendance, il y a un précipice constitutionnel. L’article 2 de la Constitution espagnole est explicite. Si elle "reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions", elle est "fondée sur l’unité indissoluble de la nation espagnole". L’autonomie, oui. L’indépendance, non. Très logiquement, le Tribunal constitutionnel a jugé illégal le vote du Parlement catalan. Le parquet du Tribunal supérieur de justice de Catalogne a ordonné à l’ensemble des polices d’empêcher la mise en œuvre d’un scrutin anticonstitutionnel.

Le vote a eu lieu dans des conditions chaotiques qui lui enlèvent tout crédit, mais au travers des médias, les quelques images de « violences policières » ont été utilisées habilement pour inverser les rôles. Dans les faits, un « gouvernement local » a perpétré un coup d’État, en organisant un référendum interdit par la plus haute juridiction espagnole, le Tribunal constitutionnel.

Or, l’indépendance ne pourrait être obtenue qu’après un vote des deux chambres nationales, modifiant à une majorité des 3/5 la Constitution, pour permettre un référendum dans l’ensemble du pays. Dans le cas présent, il n’y a aucun droit légitime à l’indépendance parce que ce parcours est à l’évidence impossible. Puigdemont est donc passé en force et tente de faire croire que la force est dans le camp adverse.

Avec une certaine perfidie, le président de la Généralité brandit le vague "droit des peuples à disposer d’eux-mêmes" face à l’État espagnol retourné au franquisme brutal. Il utilise, pour un public mal informé, un mélange de démocratie et de victimisation. Les "violences policières" deviennent un argument. D’ailleurs, on parle davantage d’elles que de l’organisation du vote… Puigdemont en profite pour demander un arbitrage et se plaint douloureusement que celui-ci ne lui ait pas été accordé par le roi. Il en appelle à l’Europe. Le délinquant se présente en homme de paix.

Était-il bien nécessaire que, pour accroître leurs pouvoirs, des élus locaux chauffent à blanc une population, mal informée des enjeux, au point de menacer l’équilibre d’une démocratie encore récente et fragile ? La tentative de coup d’État de Puigdemont est infiniment plus grave que les prétendues violences policières dénoncées par ceux qui oublient que l’État de droit, c’est celui qui peut précisément user de la violence légitime pour faire régner la loi et l’ordre.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 19:08.

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07 octobre 2017 à 16:07

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