Erdoğan, avec une très très longue cuillère…

"Quand je m'examine, je m'inquiète. Quand je me compare, je me rassure." Cette citation de Talleyrand pourrait illustrer la visite du nouveau sultan ottoman à Paris et le sujet qui plane sur celle-ci : la liberté de la presse, à propos de laquelle le Président Macron s'est voulu une fois de plus donneur de leçons. En effet, si la France peut se désoler en regardant sa place de 39e dans le classement de Reporters sans frontières, elle peut à bon compte se consoler en se comparant à la Turquie qui se situe à la 155e place sur 180. Qui plus est, elle remonte cette année de la 45e, où elle avait chu en 2016. Les exactions envers les journalistes ont, en effet, reculé. L'attentat contre Charlie Hebdo et les menaces islamistes contre la liberté d'expression pèsent moins... pour l'instant, mais la cause principale de la mauvaise place de l'an dernier ne reposait pas sur ce point mais sur la mainmise, sur les médias, de propriétaires de groupes dont les intérêts sont étrangers au journalisme. La progression n'est donc qu'une apparence.

La Turquie, depuis les victoires électorales de l'AKP, a entamé une pente triplement glissante vers un pouvoir autocratique incompatible avec les libertés fondamentales, vers la réislamisation d'un pays qui rassurait par une laïcité relative, vers un nationalisme exacerbé et ombrageux qui se traduit par une pression sur les minorités turques présentes en Europe et par une oppression des Kurdes sur son territoire et aux abords de celui-ci. La Turquie est membre du Conseil de l'Europe, dont dépend la Cour européenne des droits de l'homme. Elle frappait à la porte de l'Union européenne, mais sa dérive a été suffisamment impressionnante pour que les dirigeants irresponsables de la technocratie européenne ne poursuivent pas le processus de son admission. Elle est toujours membre de l'OTAN, et on se demande quelles valeurs défend cette organisation et contre qui, avec de pareils alliés. Elle occupe toujours militairement un tiers du territoire d'un membre de l'Union européenne (Chypre) sans que Bruxelles ne la menace des pires sanctions, comme elle l'a fait à l'encontre de la Russie à propos de la Crimée. Enfin, chacun sait qu'Ankara a joué un rôle criminel dans le déclenchement et le développement de la guerre en Syrie. La Turquie a adopté, le long de sa frontière, une attitude d'un total cynisme, aidant les rebelles syriens, y compris islamistes, et laissant transiter les trafics et les volontaires, y compris au profit de l'État islamique, dont elle a ainsi assuré la survie. En revanche, elle a adopté une attitude agressive contre les Kurdes, qu'elle aurait volontiers laissés massacrer à Kobané.

La Turquie accueille deux millions de réfugiés syriens et n'a pas hésité à pratiquer avec l'Europe un véritable chantage à l'immigration. Bref, lorsqu'on rencontre Erdoğan, il est nécessaire de se munir d'une très très longue cuillère. Il est le digne représentant d'un pays dont la population actuelle porte les traces des génocides qui ont frappé les Arméniens, les Grecs et les autres minorités chrétiennes - les Assyro-Chaldéens, par exemple, ceux-là mêmes qui ont subi les atrocités de l'État islamique dans la plaine de Ninive où ils sont réfugiés depuis les massacres turcs du début du XXe siècle.

Le Président Macron pourra donc donner quelques conseils au Président Erdoğan. Pour éviter de mettre tous les journalistes en prison, il faut, avec le temps, progressivement faire en sorte que la majorité des médias diffusent une pensée unique. Cela prend du temps, d'abord celui de la formation dans les écoles de journalisme, ensuite celui de l'extension liberticide de la loi sur la liberté de la presse qui, en raison des menaces de procès qu'elle contient et l'empressement d'une meute d'associations subventionnées à les mettre en œuvre, crée un climat bénéfique d'autocensure, enfin celui de la prise en main par l'État ou par des puissances d'argent amies des principaux médias, et le tour est joué. Le politiquement correct est la forme la plus subtile du totalitarisme. Évidemment, c'est plus facile quand on a commencé il y a longtemps et quand on se situe dans la mouvance d'un mondialisme économique mâtiné de progressisme sociétal. L'opposition se replie sur Internet, mais là encore, on peut agir. Évidemment, c'est plus difficile quand on est islamiste et nationaliste. Réfléchissez-y...

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 18:26.
Christian Vanneste
Christian Vanneste
Homme politique - Ancien député UMP, Président du Rassemblement pour la France, Président de La Droite Libre

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