Entrée en sixième : un défi pour les familles installées dans les quartiers mélangés

Ils ont une haute idée du service public, « Liberté, Égalité, Fraternité » ne sont pas négociables, alors quand ils ont posé leurs premiers meubles Ikea et le couffin du petit, choisir des quartiers mélangés n’a pas été un crève-cœur. Au contraire, ils étaient fiers de montrer qu’ils allaient au bout de leurs convictions. L’inscription à l’école maternelle du quartier, pour les trois ans du petit, s’est faite dans l’allégresse ; puis les cours de judo et d’escrime. Ces quartiers abreuvés de subventions regorgent de possibilités en activités variées.

Puis le petit a grandi et il est entré au collège. La lune de miel aura duré sept à dix ans, comme pour 50 % des couples. Le temps aura eu raison des beaux sentiments, le divorce va être consommé : adieu, quartier qu’ils ont aimé, folklore, couleurs, diversité. Ils s’en vont, sans se retourner, mais pas sans déchirement. Parce que cette entrée en sixième c’est un peu le révélateur de ce qu’ils ont vu à travers un filtre toutes ces années. Le retour au réel est brutal : racket, intimidations, violences physiques, cours chahutés, incivilités font le quotidien des jeunes adolescents. Et là, ça devient compliqué de dire au petit de se concentrer, de choisir ses fréquentations, de ne pas voir ce que eux, parents protecteurs et aimants, ont feint d’ignorer.

Cette réalité est le fruit, avant toute chose, de l’indigence de l’instruction publique. Incapable d’assurer l’apprentissage de la lecture, refusant avec obstination les méthodes efficaces, ignorant avec superbe les progrès des neurosciences invalidant toutes les pédagogies constructivistes, vidée de toute ambition de transmission culturelle, cette école a tourné le dos à cent ans d’ascenseur social. Le résultat est sans appel : ne peuvent s’en sortir que les privilégiés, ceux dont les parents vont de diverses manières compenser par des sorties, des lectures, des cours particuliers, des manuels échangés sous le manteau entre amis. Pour les autres, ceux qui n’ont que l’école pour apprendre, le train du savoir ne passera pas. Ces classes hétérogènes socialement et culturellement le sont encore plus intellectuellement. Et le mélange est explosif.

J’en veux pour preuve les résultats des cours Espérance Banlieues. Nées à Montfermeil, près de la tristement célèbre cité des Bosquets, ces écoles ne connaissent pas le problème du vivre ensemble. Parce qu’elles ont donné la première place à l’instruction, celle qui nourrit, celle qui fait grandir et accroître les connaissances, elles n’ont pas mégoté sur l’exigence et l’éducation, qui sont des moyens et non des buts.

Alors, on peut se voiler la face, continuer à penser que les enseignants font ce qu’ils peuvent, refuser de revenir à cette école d’autrefois, ignorer ceux qui ont su comprendre le fonctionnement de l’apprentissage et du cerveau. Mais ne pleurons pas quand vient l’heure du bilan : vouloir faire travailler ensemble des élèves qui ont déjà une bonne base et d’autres qui en sont encore à l’alphabétisation ne peut que susciter incompréhension, jalousie, que les adolescents sont si prompts à transformer en violence.

Ceux-là mêmes qui continuent à croire que le mauvais bilan de l’école n’a rien à voir avec les méthodes qu’elle emploie, qui refusent de réaliser que le fossé, creusé au primaire entre les instruits en partie ou totalement par leurs parents et les autres livrés à des programmes inefficaces, ne se rattrape évidemment pas au collège, ceux-là mêmes pourront continuer à investir les secteurs où leurs enfants ne seront pas exposés à la colère des non-instruits.

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