L’hebdomadaire Marianne a fait un état du bilan du concours d’entrée à l’École nationale d’administration en 2017. Cette sévère critique souligne la prudence des candidats, l’absence de jugement personnel, la peur de déplaire. Une telle appréciation pourrait apparaître excessive comme une thèse systématique contre l’administration. Si c’était confirmé, ce serait un danger et un contresens. Mais l’observation de la vie administrative au sommet de l’État révèle, malheureusement, des tendances malsaines qui résultent, en fait, de la contagion de comportements condamnables. L’exécutif gouvernemental est tenté de mettre en condition les hauts fonctionnaires, ce qui traduit un manque de confiance et de considération. Par contagion, on peut déplorer le risque de servilité et de conformisme des courtisans que paralyse le souci de plaire au pouvoir.

Ce constat pessimiste ne correspond pas à l’esprit et aux qualités reconnues, depuis toujours, au service public à la française. Il importe de rappeler l’origine de l’administration dans notre pays. Les notaires conseillers du roi ont inventé la théorie de la Couronne pour limiter le pouvoir absolu et les grands commis ont fait preuve d’un sens exceptionnel du devoir pour mettre leurs compétences au service de la naissance de la France. Aussitôt après la Seconde Guerre mondiale, en 1945, l’urgence de créer l’ENA s’est imposée au général de Gaulle, qui en a chargé Michel Debré pour permettre aux élites républicaines recrutées par concours de contribuer, aux avant-postes, à la restauration de l’État. Les fonctionnaires sortis de l’École n’étaient pas programmés pour occuper les premières places dans les cabinets ministériels ni pour envisager une carrière leur faisant miroiter un siège de ministre. Leur mission était, plus simplement, de servir la nation au milieu de la population, particulièrement sur le territoire, afin de tourner le dos à une technocratie hors-sol.

En effet, la France s’est construite autour de son État, qui a précédé et fait naître la nation française. La mission de l’administration consiste à servir l’État sans s’asservir au pouvoir. Les fonctionnaires ne peuvent avoir d’états d’âme parce qu’ils ont l’âme de l’État.

Des exigences particulières caractérisent l’administration française par opposition au spoil system américain qui se traduirait, en français, par le copinage partisan. La soumission normale au pouvoir politique, choisi par la nation, exclut toute servilité. La personnalité des hauts fonctionnaires est appelée dans la loyauté à respecter les choix politiques du gouvernement, tout en excluant la politisation, et en étant dans l’impartialité attentive à l’opposition et à l’écoute de la population. La mission de service public implique le courage d’éclairer le gouvernement, de l’alerter le cas échéant sur les risques des décisions publiques, de faire remonter les tensions de l’opinion.

C’est à partir du territoire que les serviteurs de l’État sont appelés à promouvoir et, au besoin, à inspirer les réformes attendues par les citoyens. Les préfets sont bien placés, à cet égard, pour servir de relais entre le gouvernement de la République et la population, sans crainte d’être incommodes quand il faut transmettre les préoccupations des Français.

Il est facile de comprendre qu’une évolution regrettable peut conduire l’administration à suivre la pente de la pensée unique, dans un comportement de courtisans dociles. Pour contrarier cette tentation dangereuse, il convient d’encourager la mobilité des hauts fonctionnaires sur le territoire au plus près des réalités humaines et locales, afin d’éviter l’enkystement dans les hautes sphères parisiennes et dans les cabinets ministériels.

Tout au long de l’Histoire, la res publica a exigé de ses missionnaires de représenter l’aristocratie des meilleurs, par la compétence, l’intégrité morale et la liberté de l’esprit dans l’accomplissement du devoir. Une dose d’enthousiasme n’est pas de trop.

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05 mars 2018 à 10:20

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