Beaucoup de journalistes (très serviles !) se demandent aujourd’hui si, au vu de ses performances médiatiques devant les maires, Emmanuel Macron a des chances de réussir son opération de « reconquête » de l’opinion, en ayant l’air d’oublier (sont-ils encore journalistes ?) si une telle opération, à supposer qu’elle marche, a des chances de répondre à la question de fond, évoquée par Guilluy : « Quelle est la place de la “France périphérique”, incarnée par les gilets jaunes, dans la France d’aujourd’hui, et dans celle de demain ? » Cette question, sur le plan pratique, se décline en deux. Comment lui permettre de vivre de son travail ? Quelle représentativité politique peut être la sienne afin que ses intérêts soient défendus, que ses revendications soient traduites en votes et en propositions de lois ?

À ces deux sous-questions, Emmanuel Macron ne répond pas explicitement. Pour ce qui est de la deuxième, nous savons qu’il n’a cessé de travailler à détruire la représentativité politique de cette France d’en bas, en excluant, en diabolisant et en fascisant, autant qu’il l’a pu, le parti qui la représente le plus naturellement, le FN/RN. Ce faisant, il n’a fait (même si cela ne l’excuse pas) que poursuivre la politique de ses prédécesseurs. Pyromane autant que les autres, il a du mal, aujourd’hui, à se saisir de l’extincteur.

À la première, il tente de répondre en répétant le discours qui l’a fait élire : « Il faut redresser l’État et remettre l’économie en ordre, pour le bien de tous. Pour y parvenir, il faut tous se serrer la ceinture. » Outre le fait que la « France d’en bas » trouve que le serrage de ceinture serre plus fort en bas qu’en haut, il est permis de se demander si le discours d’Emmanuel Macron est sincère.

En effet, tous les régimes justifient la violence politique (et le choix d’une politique économique contraignante est un choix de violence politique) par le bien de la communauté. Cette vision des choses est légitime, car elle est la base même du pacte politique passé entre un peuple et ses dirigeants. Lorsque le chef franc monte sur le bouclier sous les acclamations, le peuple lui dit : « Nous te faisons confiance, et nous te donnons mandat d’user de la violence pour assurer en notre nom l’ordre et la justice à l’intérieur, et la défense de notre territoire à l’extérieur. » Et celui-ci répond : « J’accepte votre confiance, je jure de vous servir et de vous protéger selon ce mandat. » Tous les mandats politiques sont fondés sur ce contrat, qu’il soit tacite ou exprimé. Les royautés n’y font pas exception, même si les rois (ou les reines) ne sont pas choisis, mais seulement reconnus comme tels, par les populations. Et pas, non plus, de nombreuses dictatures (1), n’en déplaise aux démocrates « radicaux » et autres « néocons » qui pensent que leur propre modèle démocratique est le seul valable, et qu’il faut l’imposer à tous les autres, car les peuples qui vivent véritablement dans l’insécurité civile mettent beaucoup plus haut que nous-mêmes, qui sommes des privilégiés, les valeurs qui les en protègent, en particulier la force. Pour nombre de peuples sur cette Terre, un régime fort, même s’il a pris le pouvoir justement par la force, sera aisément considéré comme plus légitime qu’un régime faible, même si ce dernier a apparemment mieux respecté les règles de l’élection mais qu’il se montre ensuite incapable de « remplir le contrat », en particulier celui du maintien de l’ordre.

Ceux qui sont le moins légitimes, en réalité, sont les « pseudo-démocraties », là où les volontés des peuples sont détournées par un choix des dirigeants fait uniquement par des oligarchies, ou bien les régimes dictatoriaux, lorsque les dictateurs ne disposent pas d’un appui populaire au moins implicite, ou encore les régimes totalitaires (qui peuvent être, eux-mêmes, des « pseudo-démocraties »).

À ce titre, Macron est-il sincère ? Est-il un démocrate ou un « pseudo-démocrate » ?

(1) Par exemple, le régime de Bourguiba en Tunisie, ou celui de Rawlings au Ghana, du moins jusqu’en 1992 (passage au multipartisme), ont été des dictatures. Ils n’en bénéficiaient pas moins d’une assez bonne, sinon très bonne image sur le plan international. Les raisons principales étaient que ces régimes étaient assez peu corrompus et largement soutenus par leurs peuples. Bien que n’étant pas du tout des démocraties, leur légitimité était cependant reconnue.

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25 janvier 2019 à 22:01

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