Émile Duport, communicant surdoué et décomplexé pour la vie

Émile Duport s’installe à la terrasse du café. Instinctivement, la fille à la table d’à côté rapproche sa chaise et se fait toute petite. C’est qu’elle sent bien que le monsieur, avec sa carrure de rugbyman, sa tignasse en pétard, son cuir sur le dos et ses fleufleurs sur la chemise façon blouse-en-nylon-de-mémé, comme ne peuvent en porter que les hipsters qui n’ont absolument rien à prouver, va prendre de la place.

Si - hypothèse hautement improbable, je vous l’accorde - un bookmaker m’avait demandé, il y a quelques mois, de parier sur la présence d’un tel gaillard à la Marche pour la vie, je n’aurais pas seulement misé la piécette d’un centime qui roule derrière la doublure de mon sac à main.

Et pourtant... Non content d’y assister, il en organise en sus la communication. Celui qui vous tutoie au bout d’exactement 13 secondes vous explique qu’il entend casser les codes. On voit à peu près. Il est un code cassé à lui tout seul.

Quand on compulse les articles de presse mainstream qui se sont intéressés à lui - il a porté de sa créativité et de son énergie à peu près toutes les causes indéfendables, de la Life Parade à la Manif pour tous en passant par les Survivants, et cela commence à se savoir - on sent les journalistes passablement désorientés : vous voulez le faire rentrer dans une petite case ? Bonne chance, mes chéris !

Son idée à lui est de transposer les stratégies publicitaires des sites marchands dans le champ des idées et de la sensibilisation sociétale. S’il est passionné par la communication numérique, qui a pris son essor au début des années 2000, au moment où il commençait à militer, c’est parce qu’elle "décloisonne", explique-t-il. On peut atteindre tout le monde. Et son boulot de publicitaire est "d’aller rejoindre les gens là où ils sont". Par l’émotion que suscite le visuel, et que l’on peut partager. Intuitif, rapide, doté d’une grande intelligence de situation et d’une capacité d’adaptation peu commune, il passe d’une idée à l’autre, jamais là où on l’attend, trimballant son interlocuteur, qui peine parfois à suivre. L’exercice de son métier l’a rendu pragmatique et humble : il sait que parler au plus grand nombre sans se renier est compliqué, et c’est pour cela que nombre de politiques, pas mauvais bougres, ont fini par décevoir et tomber. Tout l’enjeu est là.

Issu d’une famille « tradi », animé par une grand foi, il entend bien, cependant, ne pas vivre dans le passé. "La Pietà, c’est beau. Mais ce qui m’intéresse, c’est de refaire une autre Pietà. Ce qui m’intéresse, c’est mon temps, pas le temps des autres !" Il y a, en Émile Duport, du Paul Valéry : la véritable tradition n’est pas de refaire ce que les autres ont fait mais de trouver l’esprit qui a fait ces choses et qui en ferait de toutes autres en d’autres temps.

J’ose glisser : "L’IVG, c’est quand même, dans notre société, le tabou des tabous !" Justement, tiens. Lui, ce qui l’intéresse, c’est de "toucher au tabou".

Je l’observe en silence. Il me fait l’effet d’un gentil Frankenstein - il en a les épaules et la force tranquille. Échappant au monde moderne qui l’a façonné, il le fascine et l'épouvante. On a longtemps vilipendé, moqué, raillé la jeunesse « conservatrice » avec sa raie bien peignée sur le côté, ses airs coincés de premier de la classe comme dans La vie est un long fleuve tranquille, ses vocations raides de militaire ou d’ingénieur. D’accord. Reçu. Bien compris. Pour survivre et échapper aux quolibets et aux clichés faciles, elle s’est donc fondue dans la masse, a adopté les nouveaux codes, devenant passe-muraille. Qu’à cela ne tienne : puisqu’on la veut transgressive, et hors du moule, elle sera transgressive et hors du moule. Puisqu’on doit être iconoclaste, elle le sera. Puisqu’on doit briser les interdits, elle le fera.

Sauf que le moule, la norme, les interdits, la transgression ont changé. Émile Duport a intégré avec beaucoup de naturel et de talent les outils, la créativité, le goût de la fantaisie, de l’indépendance d’esprit et de la contre-culture… pour les mettre au service d’autres causes. Le dépôt du nom de domaine "simoneveil.com", en juillet dernier, était ainsi un bon coup de com’, original et décalé, qui a suscité le buzz. Allez savoir pourquoi, il n’a pas tellement plu…

La vidéo Ma(l)chance qui vient d’être mise en ligne pour annoncer la Marche pour la vie du dimanche 21 janvier est de lui. Elle décape. M’est avis qu’avec ce grand gaillard cool, souriant, prolixe, sympa, décontracté, aimant le rock, sociable, marrant, libre, la bien-pensance a du souci à se faire. La vie, pour elle, ne sera plus jamais un long fleuve tranquille.

Gabrielle Cluzel
Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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