C’est tellement énorme qu’on a envie d’en rire. Mais tout ce que fait ce type est énorme. Démesuré. Imprévisible. De sa part, on s’attend à tout et même pire encore : une sale guerre de plus au Moyen-Orient, la ruine des économies européennes, une alliance avec la Corée du Nord, un déluge de feu sur l’Iran, le doigt sur le bouton nucléaire si son épouse Melania lui refuse son lit… Tout est possible.

Dans cet océan d’incertitudes et d’angoisses où la personnalité immaîtrisable du président des États-Unis plonge les individus sensés, un fait au moins apparaît certain : son attitude est propre à finir d’éloigner et dégoûter à tout jamais les citoyens normaux des politiques et, partant, de la politique.

Certes, ceux-là avaient déjà pris leurs distances, mais la suffisance incohérente et bouffie d’orgueil de Donald Trump agit comme le plus efficace des repoussoirs.

Ainsi donc, dernier dans une longue série de tweets écumants écrits sur l’oreiller, le commandant en chef de l’Empire du Bien a affirmé, lundi, son "droit absolu" à s'appliquer à lui-même le droit de grâce présidentielle : "Comme cela a été stipulé par de nombreux spécialistes du droit, j'ai le droit absolu de me GRACIER" (mot en capitales dans le texte), ajoutant toutefois : "Mais pourquoi le ferais-je alors que je n'ai rien à me reprocher ?" En cause, l’enquête sur l’ingérence de Moscou dans la campagne de 2016, qu’il a qualifiée d’"INCONSTITUTIONNELLE" (en capitales également dans le texte). D’où cette dernière pirouette : je ne suis pas coupable, et si, d’aventure, je l’étais, je pourrais toujours m’absoudre.

Un arrangement de plus avec la vérité, les nombreux spécialistes du droit auxquels Donald Trump fait allusion – dont son avocat Rudy Giuliani, l’ancien maire de New York – estimant la chose "complexe" sur le plan politique : "Gracier quelqu’un est une chose, se gracier soi-même est une autre paire de manches", est convenu Giuliani. Réaction plus vive encore chez les républicains du Sénat, dont le président de la commission des affaires juridiques n’a pas mâché ses mots, comme le rapporte Le Monde : "Si j’étais président et si quelqu’un, un avocat, me suggérait que je pouvais faire comme ça, j’en changerais."

Mais Donald Trump est convaincu qu’il peut faire ce qu’il veut, tout ce qu’il veut et rien que ce qu’il veut. Quant à changer de personnel, il ne s’en prive pas, plus de trente membres de son administration, et non des moindres, ayant déjà été virés ou bien étant partis de leur propre initiative depuis son arrivée à la Maison-Blanche. Sans oublier, bien sûr, les patrons du FBI ou de la CIA qui lui flairaient d’un peu trop près les mollets, limogés et insultés comme de vulgaires malfrats… À quoi l’ancien directeur de la CIA avait répondu au président sur le même ton : "Lorsque l'étendue complète de votre vénalité, de votre turpitude morale et de votre corruption politique sera connue, vous occuperez votre juste place parmi les démagogues déshonorés dans la poubelle de l'Histoire."

Mais Trump se fout bien des poubelles de l’Histoire. Il est tranquille et fort capable, en effet, de s’autogracier, ce qui, hélas, pourrait même faire monter sa cote de popularité auprès des malheureux déclassés qui pensent encore – pauvres naïfs ! – qu’il les protège et leur permettra d’accéder enfin au rêve américain.

En un an et demi de mandat, Donald Trump a déjà usé cinq fois de son droit de grâce. Pour qui, pour quoi ? Essentiellement pour contrer la Justice au bénéfice de proches alliés politiques. Aussi bien ses propres avocats soulignent-ils que mettre un terme à une enquête le concernant, comme celle dont il est ici question, "relève des pouvoirs constitutionnels du président". D’où Donald Trump s’autorise à dire qu’elle est "inconstitutionnelle". CQFD.

On peut toujours crier "Au fou !" et tenter de s’enfuir en courant, mais c’est peine perdue : rien ni personne n’échappe, aujourd’hui, au rouleau compresseur américain, qui que ce soit qui le pilote.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 17:43.

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06 juin 2018 à 13:55

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