Si nous allions au cinéma ? En ce mois d’avril 2018, dans la métropole qui s’est donné comme marque le néologisme improbable ONLYLYON, voici le programme : parmi d’autres titres en français, on peut choisir entre The Rider, Call Me by Your Name, Lady Bird, Blue, Tomb Raider, The Disaster Artist, Pacific Rim: Uprising, Phantom Thread, Ready Player One, Red Sparrow, Frost, Ghostland…. Et celui-ci, encore, mais qui doit être ironique en pataouète : Mektoub, my love : canto uno.

Qui ne parle pas anglais, ne l’a pas étudié, l’a mal étudié, a étudié d’autres langues et se croit en France rougit devant l’ami qui cite, avec l’accent, l’un de ces titres, qui s’énerve de son ignorance et le regarde avec commisération ou mépris. Finalement, le malheureux sent l’exaspération l’emporter sur la honte devant ce parti pris, quand il est si facile de traduire : Le Cavalier, Le Pays des fantômes/des revenants/des esprits

Mais, disent les précieux ridicules, certaines expressions sont intraduisibles : ça me fait une belle jambe ! Pourquoi ce snobisme au cinéma quand les écrivains ont toujours vu leurs titres traduits et que le vulgum pecus visite Londres, pas London, Saint-Pétersbourg, pas Petrograd, Munich, pas München ? Parce qu’il n’est bon bec que de Hollywood ? Bon bec, c’est vite dit : il paraît que le doggy bag va devenir obligatoire depuis qu’un amendement a été adopté en commission à l’Assemblée nationale. On en fera la publicité en distribuant des flyers. Des quoi ? Ah oui, des prospectus ? Mais le latin est démodé, of course, alors que l’anglais, c’est chic et moderne.

Nous avons un beau modèle : le Président himself qui, le 20 mars dernier, devant les académiciens, annonce un plan pour développer le français dans le monde et, ici même, améliorer l’enseignement de la langue et de la littérature. Voici qu’une semaine après, il met cette ambition en pratique, dans un discours au Collège de France sur l’intelligence artificielle, où il parle de démocratie : "La démocratie est le système le plus bottom up de la Terre." Mais encore ? Le dictionnaire me dit « du bas vers le haut », or, démocratie veut dire « pouvoir du peuple », qui est dès lors le souverain, le haut et non le bas ; autrement dit, pas un système où l’on se fait entuber, me semble-t-il.

L’intéressé est coutumier du fait au point qu’il serait fastidieux d’accumuler les citations, d’autant que, récusant d’avance toute critique, il s’enorgueillit de n’être pas "un défenseur grincheux de la francophonie". Après avoir annoncé, dès son élection, la création d’une "task force anti-Daech" à l’Élysée (avec un indéniable succès, isn't it ?), il énonçait triomphalement à Davos "France is back", ce qui est normal pour une "start-up nation", une nation d’entrepreneurs de start-up à qui il demande d’être "entrepreneur(s) in the new France", d’être ceux qui réussissent et non ceux "qui ne sont rien".

By Jove, quel homme : il parle à chacun le langage qu’il veut entendre, dans le métro pour les start-up la complicité du franglais, aux Bernardins les grands auteurs consensuels : le cardinal de Lubac, Simone Weil, François Mauriac, Paul Ricœur, "soigneusement choisis pour plaire à tout le spectre", comme le remarque finement Gabrielle Cluzel, et bien étalés sur la tartine. Chapeau bas, l’artiste, pas disaster le moins du monde. Reprenons en chœur : Macron, what else?

Conclusion : le français moderne, c’est le franglais. Ergo, pour développer notre langue dans le monde, il faut former des enseignants au franglais : avis aux syndicats et aux huiles du ministère. Non plus la langue de Shakespeare, mais celle de Zuckerberg. Aïe, pas lui, il est un peu démonétisé ces temps, mais les GAFA nous offriront bien d’autres noms. Exit l’Alliance française et vive l’Alliance franglaise !

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22 avril 2018 à 9:33

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