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En France, où 7 % de la population (soit plus de trois millions de personnes) sont illettrés, l'école est en plein effondrement. Elle est au 27e rang au classement PISA, bonne dernière européenne en maths…

C’est un fait : aujourd’hui, nous lisons de moins en moins. Les indicateurs attestent de deux phénomènes inquiétants : une persistance de l’illettrisme malgré les progrès de la scolarisation, et un vieillissement significatif du lectorat, dû au recul de la lecture chez les jeunes. Dans son livre Deux pouces et des neurones, la chercheuse Sylvie Octobre souligne que la lecture n’est plus considérée comme une activité de loisir chez les jeunes. Paradoxalement, la lecture est partout : sur les réseaux sociaux, sur les affiches, les publicités, mais la lecture de livres est en net recul. La chercheuse a ainsi établi que les 15-29 ans lisent surtout "des textos, Wikipédia, des blogs". Or, ces deux types de lecture sont radicalement différents. La lecture sur Internet est additive, c’est-à-dire que les informations se superposent les unes sur les autres. La lecture d’un livre demande de rentrer dans la pensée de quelqu’un d’autre, et oblige à structurer les informations. De fait, beaucoup de jeunes commencent un livre, et au bout d’une page ou deux ont l’impression de ne plus rien comprendre à ce qu’ils lisent et de tourner en rond. Logiquement, ils abandonnent. De plus, l’importance qu’ont prise les réseaux sociaux dans la sociabilité des adolescents fait qu’il leur est de plus en plus difficile de se réserver des moments de solitude. Cette solitude est pourtant essentielle en ce qu’elle nous construit en tant qu’être humain. Comme le rappelle l’historienne Mona Ozouf dans La Cause des livres : "À quoi sert d'être cultivé ? À habiter des époques révolues et des villes où l'on n'a jamais mis les pieds. À vivre les tragédies qui vous ont épargné, mais aussi les bonheurs auxquels vous n'avez pas eu droit. À parcourir tout le clavier des émotions humaines, à vous éprendre et vous déprendre. À vous procurer la baguette magique de l'ubiquité. Plus que tout, à vous consoler de n'avoir qu'une vie à vivre. Avec, peut-être, cette chance supplémentaire de devenir un peu moins bête, et en tout cas un peu moins sommaire."

De plus, les jeunes qui lisent désertent de plus en plus les classiques, associés à une contrainte, pour des best-sellers marquetés : Harry Potter ou Twilight. Cette littérature pour « jeunes » florissante contribue à creuser encore un peu plus le fossé générationnel. De fait, nous partageons de moins en moins de choses avec les générations qui nous suivent. Les référents culturels disparaissent comme éléments qui permettent de vivre ensemble en partageant des repères.

Ainsi l’apprentissage de la lecture à l’école est-il en majorité perçu comme la garantie d’un métier, d’un futur statut social, mais pas comme la porte d’entrée vers la lecture. La lecture des œuvres « imposées » est vécue comme une exigence technique, et non comme des textes qui permettent de donner accès au monde, de mieux se comprendre et de comprendre les autres.

Plus grave : l’illettrisme, réalité taboue, atteint un niveau préoccupant. En septembre 2014, le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, suscite la polémique en évoquant les salariées des abattoirs Gad, "pour la plupart illettrées". On reproche au ministre d’utiliser un terme stigmatisant. Polémique médiatique révélatrice de la tendance française à dénoncer la stigmatisation avant la réalité des problèmes. De fait, selon une enquête de l’INSEE de 2011, 7 % de la population, soit 2,5 millions de personnes, seraient illettrés. Ce terme recouvre les personnes qui ont reçu un apprentissage de la lecture mais ne la maîtrisent pas suffisamment pour être autonomes. Or, si l’on ajoute à cela les personnes analphabètes (1,5 %), c’est-à-dire jamais scolarisées, et les personnes ayant des difficultés à lire et écrire le français (16 %), on atteint pratiquement le chiffre de 25 % de Français en difficulté avec leur langue.

On le voit, le chiffre de 99 % d’alphabétisés en France masque une réalité dont on parle peu. Selon Pascal Moulette, maître de conférences à l'université de Lyon et spécialiste de l’illettrisme au sein des entreprises, l’illettrisme est paradoxalement bien plus tabou en France, patrie du livre, que dans les pays anglo-saxons, qui n’ont pas la sacralisation de l’écrit et raisonnent plutôt en termes de compétences.

Autre tabou : l’innumérisme. Le chiffre des élèves ne parvenant pas à acquérir les connaissances de base en mathématiques est de plus en plus préoccupant. On estime que 47 % des élèves ont de graves difficultés avec les mathématiques. On pourrait se dire : à quoi sert de savoir compter, à l’heure où le moindre portable est équipé d’une calculette. Le calcul mental, tout comme la dictée, a ainsi été élevé au rang de pratique moyenâgeuse inutile. Pourtant, savoir effectuer de tête les opérations les plus simples de la vie courante s’avère essentiel en ce qu’il développe les capacités logiques du cerveau.

Ce rejet des mathématiques recouvre une forme d’inculture plus large : celle, abyssale, en matière de connaissances scientifiques. En réalité, que comprenons-nous réellement aux enjeux politiques et sociétaux de notre temps ? Qui comprend réellement le protocole de la COP21, son influence sur le bilan carbone ? Qui peut expliquer ce qu’est le gaz de schiste ou comment se produisent les émissions de CO2 (gaz carbonique) ? Ces sujets sont pourtant au cœur des débats et des programmes des politiques. Or, faute d’une culture scientifique solide, force est de constater que ces enjeux nous échappent complètement. Au XVIIe siècle, il était pourtant essentiel pour l’honnête homme d’avoir une double culture, littéraire et scientifique, comme Pascal. Aujourd’hui, ce que l’on appelle la culture générale fait largement abstraction des sciences. Si l’on ajoute à cela l’inculture économique (qu’est-ce qu’un marché financier ? Qu’est-ce qu’une récession ?), l’on aura en face de soi des citoyens totalement ignorants de la portée de leur bulletin de vote dans l’urne, dont le choix n’est plus aujourd’hui guidé que par des considérations d’image. Les politiques le savent bien, eux qui ont depuis longtemps renoncé de défendre leur bilan ou d’avancer des propositions, car ils savent d’avance que personne n’y comprendra rien !

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16 août 2017 à 17:36

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