La déambulation de Philippe Bilger dans les allées et les bosquets de la carte de la traîtrise en politique – car il y a bien une carte de la Trahison comme il y a une carte du Tendre – laisse cependant l'humble observateur des mœurs politiques que je suis sur sa faim. En effet, les petits arrangements entre amis ou ennemis d'hier, qui trahiraient leur parti, leurs électeurs et même leurs serments de la veille pour rallier le puissant de l'heure, nous maintiennent dans le cours immémorial et finalement assez banal de la politique. Mais il est surprenant que la sensibilité de Philippe Bilger aux singularités de notre époque ne l'ait pas amené, surtout en ces jours de septembre 2018 où l'événement historique, ce n'est ni Darmanin ni Rugy mais Chemnitz, à s'interroger sur une trahison plus grave, plus profonde dont on commence à entendre monter le refrain partout en Europe.

Terrorisme islamiste : des centaines de morts en Europe depuis trois ans. Islamisation : des quartiers entiers gagnés au communautarisme, une transformation culturelle sans précédent par sa rapidité et son ampleur. Migrants : des centaines de viols et de meurtres par an. Face à cette réalité historique de toute l'Europe occidentale depuis 2015, les « traîtres » de M. Bilger (qui n'en sont donc pas, ou si peu, car fidèles à leurs convictions) se rassemblent derrière l'étendard du progressisme d'Emmanuel Macron levé contre le populisme d'un Orbán et d'un Salvini qui ont, eux, choisi d'incarner la colère et le refus des peuples de poursuivre dans cette voie de l'immigration destructrice.

Qu'Emmanuel Macron ait choisi cette posture dialectique-là par simple calcul électoral ou pour des raisons plus profondes n'y change rien : il valide la réalité historique en question et légitime le camp de la révolte et de la résistance des peuples. Et, par là même, dans la vision des « populistes », il s'inscrit lui-même, ainsi que ses soutiens en France et ses alliés en Europe, dans le camp des traîtres : traîtres à l'identité et à la culture des nations européennes. Passer d'une stratégie consensuelle - ou attrape-tout - du « en même temps » à une rhétorique guerrière désignant un « ennemi dangereux » (les populistes) n'est pas sans risque pour lui.

Ce n'est pas un hasard si, à Chemnitz, l'un des slogans très souvent repris par les manifestants est celui de la « haute trahison » de Merkel, responsable d'avoir laissé entrer plus d'un million de migrants, avec les conséquences que l'Allemagne découvre jour après jour. Très officiellement, plus d'un millier de plaintes pour haute trahison ont été déposées contre la chancelière depuis 2015, selon le Mannheimer Morgen. Bien sûr, Frauke Köhler, la porte-parole du parquet fédéral de Karlsruhe, avait déclaré, en 2017, que "les plaintes contre la chancelière se sont toutes avérées sans fondement".

Il n'empêche : la trahison fait son chemin dans les esprits des Européens d'en bas. Pas la trahison politique anecdotique. Non, la haute trahison. Des gens d'en haut. La Justice peut bien décider qu'elle n'a aucun fondement, les Allemands de l'Est ont été suffisamment échaudés par l'Histoire pour savoir ce que valait la justice d'une époque et d'un régime.

En effet, si l'Histoire ne se déroulait pas comme cette Justice et ces dirigeants l'imaginent, si, par exemple, des attentats de masse comme ceux du Bataclan, des viols et des assassinats au couteau se multipliaient en Europe, si un krach financier avait lieu – et ces « si » ne sont pas catastrophistes mais réalistes -, nul doute que s'étendrait l'esprit de Chemnitz, esprit de révolte contre des dirigeants ayant causé cette situation et incapables de la maîtriser. Qui peut, aujourd'hui, sérieusement affirmer que la situation européenne ne contient pas de puissants germes d'aggravation ? Il reste seulement à espérer que cette révolte ait lieu dans les urnes, comme cela s'est produit dans plusieurs pays européens. Ce ne serait pas la preuve la moins éclatante de la vitalité inattendue de l'identité européenne.

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08 septembre 2018 à 20:15

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