Décès de Jacques Sauvageot : un homme sincère est plus estimable qu’un renégat

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Jacques Sauvageot est décédé samedi dernier, à l’âge de 74 ans, après un accident de la circulation survenu en septembre. Il fut, avec Daniel Cohn-Bendit et Alain Geismar, l’un des acteurs de Mai 1968. Il ne s’agit pas de céder à la tradition qui veut qu’on rende hommage aux défunts, les eût-on critiqués de leur vivant, mais de constater qu’il se distingue de ses deux compères par sa sincérité.

Loin de nous l’idée de leur reprocher leurs engagements de jeunesse. Mieux vaut, quand on est étudiant, militer dans un mouvement politique ou syndical que d’oublier le reste de la société dans l’ivresse des bars ou dans un individualisme aveugle. À droite comme à gauche, des étudiants activistes ont fait ainsi leurs armes, avant de faire carrière.

Ce qui est plus gênant, c’est de voir ces farouches guerriers, prétendument révolutionnaires, prendre leurs distances avec leur passé ou se transformer en bourgeois conformistes, sans reconnaître leurs contradictions. Ce fut le cas de Daniel Cohn-Bendit et d’Alain Geismar : Jacques Sauvageot eut la pudeur de se faire oublier.

Alain Geismar, qui avouait en 2008 "ne jamais avoir rêvé d’être révolutionnaire", n’en continua pas moins son parcours dans la Gauche prolétarienne, formation maoïste préparant une lutte armée. Puis, quand il s’aperçut que c’était un combat sans avenir, il glissa progressivement vers le réformisme – imitant, en cela, bien des socialistes – jusqu’à fréquenter les cabinets ministériels, après avoir été nommé en 1990 inspecteur général de l’Éducation nationale. Pour sa valeur d’exemple, sans doute.

Avec Daniel Cohn-Bendit, il avait en commun la volonté de dépénaliser le cannabis, mais il reste en deçà de son camarade dans la souplesse à se transformer idéologiquement. D’abord proche de la Fédération anarchiste, puis du communisme libertaire, passant par l’écologie, notre Daniel, devenu la coqueluche des plateaux de télévision, est aujourd’hui l’un des plus fervents soutiens d’Emmanuel Macron. Passons sur ses problèmes de braguette, qu’il minimisa par la suite, n’y voyant que la volonté provocatrice de "choquer le bourgeois des années 70".

Jacques Sauvageot, bien qu’il fût vice-président de l’UNEF durant les événements de Mai 68, n’a pas profité, comme d’autres, de cette rampe de lancement pour faire de la politique. Plus secret, plus discret que les deux autres, il refusa pendant longtemps d’être filmé ou interviewé et n’a jamais revu ses anciens camarades. Il considérait Mai 68 comme un "mythe fondateur", n’éprouvait aucune nostalgie pour ce "joli mois de mai", mais ne le reniait pas non plus.

C’est peut-être cette fidélité qui doit être relevée chez lui, même si l’on n’approuve pas les retombées de 1968 sur l’école, l’université, la famille, la société en général. On sait qu’il rejoignit, en 1969, le PSU de Michel Rocard, qui était alors plus à gauche qu’il ne le fut par la suite. Ces dernières années, il était secrétaire général de l’Institut tribune socialiste (ITS), où il étudiait les archives du PSU et réfléchissait sur le présent et l’avenir des mouvements sociaux.

Il ne faisait pas partie des soixante-huitards qui ont « réussi » mais a toujours privilégié des projets collectifs sur ses ambitions personnelles. Ce n’était pas un cabotin ni un révolutionnaire abâtardi, comme ses anciens compagnons de route : plus efficace peut-être pour la défense de ses idées, car plus sincère dans ses convictions.

Dans les temps qui courent, un homme sincère est plus estimable qu’un renégat.

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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