D’une manière générale, la société contemporaine considère qu’une fois sortis du circuit professionnel, atteints par la limite de péremption de nos artères, nous sommes tout simplement bons pour la casse. Le problème est que, les progrès de la médecine aidant, il faut bien, en attendant la chambre mortuaire, nous faire patienter dans les antichambres que sont les maisons de retraite.

En ce domaine, l’hypocrisie et le cynisme règnent en maîtres absolus dans notre pays. C’est ainsi, par exemple, que nos départements, légalement attributaires de la compétence « sociale », se voient endettés jusqu’au cou lorsqu’ils doivent financer, par exemple, l’allocation personnalisée d'autonomie (APA) ou l’aide ménagère à domicile ou encore l’aide sociale à l’hébergement (ASH), quand, dans le même temps, ces mêmes aides s’avèrent insuffisantes pour permettre l’accueil de nos vieux dans les maisons de retraite (pudiquement dénommées « établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes [EHPAD]).

Car la réalité crue est bien celle-là : pour un montant moyen de retraite de 1.500 euros, la facture (que l’on appelle le « reste à charge » imputable aux pensionnaires, une fois les aides publiques susvisées déduites) s’élève à 1.850 euros par mois, selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère de la Santé (DREES, novembre 2018).

En 2017, le prix médian à payer pour un hébergement permanent en EHPAD en chambre seule était de 1.953 euros par mois. Les écarts de prix entre les EHPAD sont, de surcroît, impressionnants. Ainsi, 10 % des EHPAD facturent un prix mensuel inférieur à 1.653 euros par mois et 10 % des EHPAD facturent un prix mensuel supérieur à 2.798 euros par mois.

Plus précisément, on observe une corrélation entre le prix médian par département et le prix moyen au mètre carré d’un logement situé dans ce même département. Ainsi, le prix médian est de 2.046 euros par mois pour les EHPAD situés dans une zone urbaine, de 1.923 euros par mois pour les EHPAD situés dans une zone mixe (dite périurbaine) et de 1.798 euros par mois pour les EHPAD situés dans une zone rurale. Concrètement, il vaut mieux partir en maison de retraite dans les Vosges ou en Ardèche que dans les Alpes-Maritimes ou dans la majorité des départements d’Île-de-France (CNSA, 2017).

Nombre de familles se trouvent, selon les zones concernées, littéralement étranglées financièrement, le taux des impayés ne cessant d’augmenter, quand on ne menace pas les pensionnaires d’aller mourir ailleurs. Le coût pour la collectivité n’est pas moindre (en 2014, selon la DREES, ce coût est estimé à 34,2 milliards d’euros, soit 1,60 % du produit intérieur brut), sans pour autant que les familles en bénéficient directement dans la mesure où pèsent légalement sur elles une obligation alimentaire envers leurs ascendants, les exemptant de tout mécanisme d’aide.

Tandis que les EHPAD sont relativement décriés quant à leur mode de fonctionnement souvent déshumanisé (voire concentrationnaire [BFM TV, 30 janvier 2018]) du fait d’une pénurie de personnel, lequel est soumis à des amplitudes horaires démentielles, n’est-il pas le moment, à l’heure du grand débat national macronien, de s’interroger sur le devenir de nos parents (et, par extension, l’âge avançant, le nôtre) et leur place dans une société prônant le fast, le fun et le free ?

On ne change pas la société par décret. C’est un fait, ainsi que l’observait Philippe Ariès, que depuis Mai 68, notre société est fondée sur « trois refus » : celui du vieillard (dérives euthanasiques), celui de l'enfant (216.700 avortements annuels en 2017, selon la DREES), le refus de la mort (y compris de la voir, ce qui explique que l’incinération concerne « plus de 30 % des obsèques en France depuis 2010 et près de 50 % dans beaucoup de grandes villes » (L’Obs, 8 juillet 2018).

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28 février 2019 à 18:20

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