Comment BFM TV est à la fois devenue la tête de Turc des gilets jaunes et d’Emmanuel Macron

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Les sondages se suivent et se ressemblent : les Français font de moins en moins confiance à ces deux catégories aujourd’hui honnies que sont les hommes politiques et les journalistes. Une défiance que vient encore amplifier le mouvement des gilets jaunes, qui vouent les uns et les autres aux gémonies. L’effigie du Président est décapitée sur un rond-point par ces mêmes gilets jaunes, tandis que d’autres de leurs camarades s’en prennent au siège de BFM TV (en novembre dernier).

En prenant la tête des audiences des chaînes d’information en continu, celle que dirige Patrick Drahi semble cristalliser à elle seule toutes les attaques. Les gilets jaunes lui reprochent de ne porter que la parole gouvernementale. Emmanuel Macron l’accuse de faire le jeu des trublions. On remarquera qu’il n’y a pas si longtemps, BFM TV était accusée de faire la pub du Front national, pour ne pas dire "la part belle", comme l'écrivit, en 2014, le journal classé à gauche Regards, alors que les électeurs lepénistes la soupçonnaient de leur mener une véritable guerre de tranchées.

Pourquoi un tel effet repoussoir ? Tout d’abord, cela tient au principe même de l’information qui ne s’arrête jamais, concept jadis initié par France Info. Même quand il ne se passe rien, il faut tout de même meubler l’antenne. D’où ces infortunés journalistes sous-payés et filmés en train de faire le pied de grue devant les tribunaux ou les ministères. « On attend toujours le ministre… On voit sa voiture qui arrive ! Non, ce n’est pas elle… Elle ne devrait pas tarder, maintenant ! Cette fois-ci, c’est elle… Quelques mots, Monsieur le Ministre ? Non, il nous répondra à la sortie du Conseil… En attendant, voici ce qu’en pensent les riverains ! » Et ainsi de suite, des heures durant.

Ensuite, quand il se passe enfin quelque chose – les gilets jaunes, par exemple –, c’est la course infernale au buzz sur les réseaux sociaux. Sachant que les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne et que seuls ceux qui déraillent feront de l’audience, il faut le choc des images, toujours plus frappantes que le poids des mots. On se concentrera donc sur les violences des manifestants et, évidemment, celles des policiers ; quitte à donner aux téléspectateurs l’impression que le pays se trouve à feu et à sang. Soit de quoi hérisser les uns et les autres, dépeints telles de sombres brutes.

Et comme les affrontements ont traditionnellement lieu à Paris et dans les grandes villes, la province, une fois de plus, sera renforcée dans le sentiment que la capitale la tient pour quantité négligeable. Tel que finement noté, le 5 janvier 2019, par Yves Mamou sur le site de Causeur : "Comme toutes les chaînes dédiées à l’information, BFMTV obéit à la logique de “l’entertainment” qui règle aujourd’hui le fonctionnement de la planète média : seul le buzz assure l’audience. Le buzz se définit par la valorisation de l’information en fonction de sa dimension spectaculaire. C’est la sidération qu’elle provoque qui fait la valeur de l’information."

Résultat, à en croire Le Canard enchaîné du 16 décembre 2018 : Emmanuel Macron accuse maintenant BFM TV de "servir la soupe" aux gilets jaunes et d’être "le principal organisateur des manifestations" ; ce qui est peut-être un brin exagéré. De son côté, et ce, pour demeurer une semblable paranoïa complotiste, l’infatigable Jean-Michel Aphatie affirme, lors de l’émission "C à vous" – sur France 5, chaîne pourtant donnée pour être plus sérieuse –, que derrière ces manifestations se nichent "une organisation souterraine" et "des tireurs de ficelles".

On notera que ce sont souvent les mêmes qui n’en finissent plus de se lamenter sur ces Français qui sont désormais de plus en plus à nombreux à bouder à la fois urnes et kiosques à journaux.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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