Claude Lanzmann : un résistant qui savait être juste

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Après une vie bien emplie, Claude Lanzmann vient de nous saluer une dernière fois de son chapeau noir. Il avait 92 ans. Comme on dit généralement, c’était une personnalité unanimement respectée. Mais également un homme très controversé. Mais être sujet à polémique n’est-il pas la marque des grands ?

Déroulons plutôt le fil de son existence. Son père Armand, issu d’une famille juive de Biélorussie, naturalisé en 1913, s’engage de son propre chef durant la Grande Guerre. Il n’y démérite pas. Claude et son frère Jacques, futur parolier de Jacques Dutronc, y apprennent-ils, dans la fureur et le sang des tranchées, l’amour de la France ? La suite démontre que oui, même si de manière parfois contrariée.

À 18 printemps, Claude Lanzmann s’engage donc dans la Résistance. S’y illustre du mieux qu’il peut. Et comprend, dès lors, que tout n’est pas si simple et que tout peut s’y révéler compliqué. Car dans les maquis, il y a de tout. De l’extrême droite, maurrassienne ou pas ; de l’extrême gauche, communiste ou non. Sa vie durant, Claude Lanzmann saura donc se prémunir de cette vision manichéenne de l’Histoire, généralement apanage de ceux s’étant souvent bien gardés de la vivre de trop près.

Après-guerre, on le verra beaucoup dans l’entourage du couple emblématique formé par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, sur les conseils de Jean Cau, alors secrétaire particulier du premier, avant qu’il ne devienne réactionnaire emblématique, que ce soit à Paris Match ou dans les cercles du GRECE, fondés par Alain de Benoist, bien connu de nos lecteurs. Claude Lanzmann sait bien que ce couple de ludions germanopratins n’a finalement résisté qu’à la Résistance ; il s’éprend néanmoins de l’alors assez jolie Simone, même si largement son aînée. Avant l’affaire Weinstein, on couchait déjà pour réussir, d’où sa collaboration aux Temps modernes, revue alors dirigée par les Thénardier de la République des Lettres, avant d’en prendre finalement la direction, en 1986. L’arrivisme est un plat qui se mange froid.

Dans l’intervalle, Claude Lanzmann participe aux dingueries de son époque. Défend URSS et FLN, tout en collaborant aux magazines Elle et France Dimanche. Dans ce dernier, il côtoie alors la fine fleur de l’extrême droite journalistique de l’époque, dont un certain Gérard de Villiers, qui n’a pas encore créé son avatar de papier : le prince Malko Linge, plus connu sous l’acronyme de SAS ; nous y reviendrons.

Mais le grand œuvre de Claude Lanzmann, c’est la Shoah et le film éponyme. Au contraire de certains actuels professionnels de la profession, les lettres de noblesse ne lui manquent pas pour évoquer le cataclysme. Il n’y a, ici – malgré une durée de près de dix heures –, nulle trace de pathos ou d’emphase, mais rien que des faits. Et autant de nuances qui ne tarderont pas à lui être reprochées, tel le désintérêt manifeste des USA quant au martyre des Juifs européens ; voire même le trouble rôle de Benjamin Murmelstein, dignitaire juif accusé de « collaboration » avec l’occupant nazi, mais « collaboration » lui ayant permis de sauver ce qui pouvait l’être encore. Le titre du documentaire qu’il lui a consacré, Le Dernier des injustes, pourrait prêter à confusion, mais Claude Lanzmann fait néanmoins preuve d’empathie avec son sujet, assurant en substance qu’il a fait ce qu’il a pu.

Globalement, Éric Zemmour ne dira pas autre chose, évoquant le choix cornélien du maréchal Pétain qui consistait alors à sacrifier les Juifs étrangers pour sauver les Juifs de France. Quand Éric Zemmour fut jeté aux chiens, il n’a pas participé à la curée.

Claude Lanzmann a toujours su que l’Histoire était immanquablement constituée de ces terribles nuances. D’où sa largesse – et surtout sa hauteur – de vue, l’ayant toujours fait revendiquer son amitié jamais démentie avec le Gérard de Villiers à l’instant évoqué. Lequel, c’est le moins qu’on puisse dire pour ceux l’ayant connu de près, ne manifestait pas un philosémitisme de chaque instant, mais dont le défunt préférait la traditionnelle compagnie estivale – à Saint-Tropez, chaque année – à celle d’un Elie Wiesel dont il n’eut de cesse de dénoncer le lyrisme pas toujours des plus productifs en la matière.

Ainsi, lorsqu’il était l’heure de passer à table, Claude Lanzmann avait coutume de dire : "J’arrive ! Juste le temps que Gérard ait fini de dire du mal des Juifs et qu’on ait terminé l’apéro !" Toute une époque, aujourd’hui révolue. Celle où être Français signifiait d’abord être libre de sa parole. Claude Lanzmann était très libre.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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