À quand, une prime de risque pour le ministre de la Culture ? En effet, l’exercice paraît devenir de plus en plus complexe. Après Céline et Maurras, respectivement empêchés de réédition et de commémoration, c’est au tour d’un autre poète, d’un genre certes un peu différent - le rappeur Orelsan -, d’être désormais victime de la vox populi.

Ce vendredi dernier, Orelsan, Aurélien Cotentin pour l’état civil, emporte trois Victoires de la musique, dont celle du meilleur artiste masculin. Mais son triomphe à peine savouré, voilà que les réseaux sociaux se mettent en branle. Et plus de vingt-cinq mille pétitionnaires d’exiger du ministre Françoise Nyssen qu’on le prive de ses trophées.

Motif de la vindicte ? Globalement le même qui lui avait déjà valu d’affronter un long épisode judiciaire pour sa chanson "Saint-Valentin", dont les paroles ne relevaient pas exactement du féminisme de combat : "Tu seras ma petite chienne et je serai ton petit maître. Mais ferme ta gueule ou tu vas te faire Marie-Trintignier !" Une manière de déclarer sa flamme au sexe faible qui en vaut bien une autre, mais qui peut aussi se révéler hasardeuse sur le long terme ; à moins, bien sûr, de vouloir être enterré puceau. Bref, c’était en 2009, trois ans après que son premier tube, "Sale Pute", avait lui aussi un peu créé la polémique, pour les raisons qu’on imagine.

En mars 2016, Orelsan est finalement relaxé en appel, la cour estimant que "le rap permet des formes d’expression plus ou moins excessives". Tiens donc, les rappeurs auraient des droits que les autres artistes n’auraient pas. Intéressant…

Dans ce genre musical, Aurélien Cotentin n’est pourtant pas le seul à avoir une vision toute particulière de ces délicieux transports susceptibles d’unir l’homme et la femme en un grand frisson commun. Mais, pour parler cru et aller court, il est surtout un des rares de la discipline à incarner le nouvel ennemi public numéro un : à savoir le mâle blanc, hétérosexuel et même pas né dans les « quartiers ». Alençon dans l’Orne, c’est loin du 9-3. Ajoutez une mère institutrice, un père directeur d’école et c’est la « street credibility » qui en prend un sacré coup sur le museau.

Difficile de s’inventer un profil de « victime », lequel n’a d’ailleurs rien d’une assurance-vie, à en croire les déboires d’un Bruno Beausir, rappeur plus connu sous le sobriquet de Doc Gynéco et, en son temps, voué aux gémonies médiatiques pour sarkozysme militant. Tout comme un Faudel, chanteur de raï et non point de rap, dont l’appartenance à la « diversité » ne l’empêcha pas de subir la même punition pour les mêmes motifs.

Évidemment, Orelsan peut encore arborer le voile et chanter dans la langue d’Iznogoud, mais depuis les mésaventures survenues à Mennel Ibtissem (voir les très finauds articles de Gabrielle Cluzel et de Nicolas Kirkitadze dans nos éditions précédentes), rien ne paraît joué d’avance, même pour qui pense maîtriser les élégances humanistes du moment.

Finalement, le seul qui s’en soit le mieux sorti, même post mortem, c’est un autre mâle blanc, quoique modérément hétérosexuel : Pierre Bergé. Lui, les horreurs, il préférait les faire que les dire, à en croire les révélations d’un de ses anciens secrétaires qui, lui aussi, a été « Marie-Trintigné » plus d’une fois, mais pour de vrai.

Être chrétien ou musulman, français de souche ou de branche, de gauche ou de droite ? Là n’est, finalement, pas la question pour qui veut comprendre qui sera stigmatisé ou pas. En France, et ce, contrairement aux USA (l’affaire Harvey Weinstein en témoigne), il suffit parfois, seulement, d’appartenir à la caste dirigeante pour échapper au lynchage. Et là, Orelsan ne fait manifestement pas le poids. La question sociale n’explique peut-être pas tout. Mais un peu quand même.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 15/02/2018 à 18:04.

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14 février 2018 à 16:39

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