Des membres du gouvernement ont parlé de "peste brune" qui aurait déferlé sur les Champs-Élysées à l'occasion de la manifestation des gilets jaunes, samedi 24 novembre. Charlotte d'Ornellas, journaliste à Valeurs actuelles, qui était sur place, conteste cette version.

Vous étiez présente ce dimanche à Paris pendant la manifestation des gilets jaunes.
Le gouvernement a parlé de ‘’peste brune’’ sur les Champs.
Pensez-vous que l’ultra-droite a mené cette manifestation ?

Ce type de qualificatifs attribués aux Gilets jaunes le sont depuis le début, pas seulement pour la manifestation de samedi. Emmanuel Macron nous expliquait avant même l’existence des gilets jaunes que le populisme était le retour des années 30. Cela n’a aucune cohérence, ni historique, ni par rapport à ce qui se passe aujourd’hui.
On sent par la rhétorique employée que le gouvernement veut absolument ramener la situation à celle des années 30. Parler de ‘’peste brune’’ était donc l’aboutissement de cette rhétorique-là. C’est non seulement absurde, mais en plus c’est indécent par rapport aux gilets jaunes qui venaient manifester.
L’ultra-droite était-elle présente sur les Champs-Élysées ? Oui.
L’ultra-droite a-t-elle mené les affrontements avec la police ? Je pense qu’elle y a participé comme beaucoup de gilets jaunes. Or, ce mouvement des gilets jaunes à la particularité de regrouper des gens extrêmement différents politiquement. Pour avoir parlé avec eux, je peux témoigner qu’il y avait des gens de gauche, de droite, d’extrême gauche et d’extrême droite.
L’ultra-droite a-t-elle provoqué la casse ? Sur ce point, je serais beaucoup plus circonspecte, dans la mesure où tous les casses de magasins et les tags ont été signés par des ‘’A’’ des anarchistes avec des inscriptions ‘’à bas l’État et les fachos’’, ce qui ne me semble pas être un slogan de l’ultra-droite ou alors, elle a beaucoup changé...
Beaucoup de gens qui se sont fait arrêter venaient de Province. Dans les meneurs, il y avait des figures beaucoup plus affiliées à l’extrême gauche qu’à l’extrême droite.
Une fois de plus, cette parole a été bien trop rapide. Elle a donc été évidemment politique et en l’occurrence manipulatrice. Non seulement elle n’a pas de sens par rapport à ce qui s’est passé samedi sur les Champs-Élysées, mais en plus elle est absolument insupportable sur le terrain politique. Les gilets jaunes ont des revendications et une colère qui sont sur un terrain très concret et qui se nourrissent depuis des années. Au lieu d’y répondre, le gouvernement les insulte. Il y a une déficience politique évidente.

Les journalistes ont vraiment du mal à identifier ce mouvement.
Pouvez-vous définir ce mouvement des gilets jaunes ?

Ils ne sont pas les seuls à avoir du mal à définir le mouvement. On a bien vu au moment du choix des porte-paroles de ce mouvement. C’est compliqué. Emmanuel Macron a beau vouloir incarner quelque chose qui dépasse les clivages politiques, ces clivages existent et ils existent en tout lieu et en tout mouvement et même au moment des gilets jaunes.
Ce mouvement rassemble des gens qui ont pris le prétexte de cette nouvelle hausse sur les carburants pour exprimer d’abord un ras-le-bol fiscal et un ras-le-bol tout court. Tous les gens interrogés disent qu’ils n’en peuvent plus. Ils ont l’impression d’être les oubliés de manière générale de la politique, dans ce pays depuis des années. C’est évidemment vrai sur les questions fiscales. C’est d’ailleurs pour cette raison que les gens se sont levés. On sait très bien que les révoltes populaires sont souvent associées à des hausses d’impôts ou à une question de pouvoir d’achat. À mon avis, cela va bien au-delà. C’est la fameuse France périphérique dont tout le monde parle avec la main sur le coeur depuis des années, dont on a dit qu’elle est la France des oubliés. Ces oubliés sont en train de revenir sur le devant de la scène en disant « on en a marre d’être oubliés ».
Aujourd’hui, cela s’exprime sur le terrain fiscal, mais je crois qu’il y a beaucoup d’autres sujets sur lesquels elle serait prête à s’exprimer. Elle n’a été consultée absolument sur rien depuis des années.

En admettant que la fiscalité ne soit pas sa seule revendication. On peut donc imaginer que ce mouvement va continuer…

Je ne sais pas si le mouvement des gilets jaune en lui-même va continuer. Cela appartient à l’organisation du mouvement lui-même. À un moment, on va leur demander d’avoir des personnalités représentatives du mouvement. Je crois que c’est ce qu’ils sont en train de faire. Dès qu’on a des représentants, il y a forcément des clivages qui se créent. On va voir comment le mouvement va évoluer.
En revanche, ce qui est sûr et ce qui va perdurer, c’est la colère profonde que ces gens-là expriment. Peut-être que ce sera la énième tentative de révolte par rapport au gouvernement, mais ce qui est sûr c’est, qu’elle aboutisse ou non et qu’elle ait des réponses ou non sur le terrain politique, il ne faudrait pas que le gouvernement oublie la colère de fond.
Jean Lassalle est devenu un peu une icône dans ce mouvement des gilets jaunes. Mais déjà en 2013, il avait écrit un livre après avoir sillonné la France à pied et avoir été à la rencontre des Français. Il avait dit «  il y a une colère qui commence à monter et ça va finir par péter si on ne l’entend pas ». C’était en 2013. Des gens l’ont dit avant lui et d’autres l’ont dit après.
Comme beaucoup de mouvements populaires, il n’est pas spécialement politique, mais se frotte à un terrain qui lui l’est. On ne peut donc pas savoir s’il va perdurer ou pas. En revanche, la colère va rester et demeurer. Ça, c’est sûr !

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26 novembre 2018 à 18:18

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