Ce qui devait arriver est survenu, sans crier gare, ou presque, surtout quand, d’une part, on possède une petite expérience de la nature humaine, d’autre part, quand on connaît un tant soit peu la grande muette. Le général d’armée Pierre de Villiers a présenté sa démission au président de la République "qui l’a acceptée", fait-on hypocritement savoir au Château.

Le motif transpire d’évidence et il n’est nul besoin de ratiociner ad aeternam. Alors que la plupart des budgets régaliens (justice, police et défense) ne cessent d’accuser des coupes claires drastiques, d’année en année, d’alternance en alternance, l’on peut légitimement s’interroger sur ce qui reste d’État aujourd’hui. Au-delà des économies draconiennes auxquelles sont condamnés ces ministères de souveraineté, c’est la question même de la conservation de l'État qui se pose avec angoisse ; Pierre de Villiers ne disait pas autrement lorsqu’il déclarait devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale que "le grand écart entre les objectifs assignés à nos forces et les moyens alloués n’est plus tenable". En 2016, dans une tribune publiée aux Échos (20 décembre 2016), il avertissait déjà que "le moindre décalage de cohérence entre les menaces, les missions et les moyens s'apparente au grain de sable qui grippe le système et conduit à la défaite". En d’autres termes, nulle guerre n’est gagnable si l’on n’y met pas les moyens.

En 2007, le budget des armées s’élevait à un peu plus de 44 milliards d’euros (soit 2,5 % de la richesse nationale produite) pour stagner, en 2017, aux alentours de 32,7 milliards d'euros (correspondant à 1,77 % du produit intérieur brut). Le très fraîchement nommé chef d’état-major des armées (CEMA) François Lecointre, 55 ans, saint-cyrien, ancien du prestigieux 3e régiment d’infanterie de marine, devra désormais se contenter d’une intenable feuille de route de 850 millions d’euros – s’ajoutant au « gel », en début d’année, de 2,7 milliards – de réduction budgétaire.

Comme le relève Jean-Dominique Merchet sur son blog Secret Défense (11 juillet), "ces 850 millions ne font pas partie du budget initial de 2017, mais ils devaient venir financer les opérations extérieures et intérieures de l’année en cours, pour lesquels seuls 450 millions étaient inscrits au budget initial - sachant que les OPEX et OPINT [opérations extérieures et opérations intérieures, NDLR] devraient s’élever à 1,3 milliard cette année". C’est un euphémisme de dire que les marges de manœuvre sont étroites, rendant tout simplement impossibles les missions actuellement dévolues, notamment à l’armée de terre qui doit assurer la sécurité antiterroriste sur l’ensemble du territoire, sans parler des effectifs dérisoires affectés aux opérations extérieures telles Barkhane, Sentinelle, ou Chammal.

Nous souhaitons bon courage au général Lecointre, qui peut d’ores et déjà déplorer l’impuissance diaphane de son ministre de tutelle, Mme Florence Parly, laquelle, en l’espèce, fait mentir la formule attribuée à Clemenceau aux termes de laquelle "la guerre est une chose trop grave pour la confier à des militaires".

Si la grande majorité de nos concitoyens, davantage préoccupés de leurs transhumances estivales, se ficheront comme d’une guigne de la démission de l’ancien CEMA, aux dires du général de division de l'armée de terre Vincent Desportes, cette dernière constitue "une crise de confiance extrêmement grave entre le chef des armées et une armée qui est stupéfaite, sous le choc" (France Info, 19 juillet).

Le CEMA ne peut se résoudre à un rôle figuratif aux côtés du président de la République, fût-il chef constitutionnel des armées. Veillant aux besoins en matière de ressources humaines civiles et militaires des armées et des organismes interarmées ainsi qu’à la définition du format d’ensemble des armées et de leur cohérence capacitaire (selon le fameux article D.3121-9 du Code de la défense), il est, de surcroît, la clé de voûte de la sécurité nationale comme le garant du moral des troupes. Un CEMA fort, en quelque sorte…

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19 juillet 2017 à 23:34

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