Bordel à la SNCF : une responsabilité partagée entre syndicats et gouvernement

"S'il doit y avoir une grève, on prendra toutes les dispositions nécessaires, on assurera le meilleur service", avait assuré Élisabeth Borne, ministre des Transports, le dimanche 4 mars. Un mois plus tard, les Français constatent son imprévoyance – à moins qu’elle ne pratique la méthode Coué. Résultat : un bordel, dont le gouvernement et les syndicats se partagent la responsabilité.

C’est Emmanuel Macron qui a donné le la, en comparant la retraite des agriculteurs à celle des cheminots, comme s’il voulait faire passer les seconds pour des nantis. S’il peut chasser son naturel dans un discours préparé, il ne le maîtrise plus dans le feu de l’improvisation : sa morgue prend le dessus.

Son ministre des Transports n’a pas été plus adroit, en ne sachant pas lever les craintes des cheminots sur les atteintes à leur statut. Toute profession a ses avantages et ses inconvénients : plutôt que d’attiser les convoitises entre les Français, mieux eût valu dresser un tableau objectif de la situation. D’autant que, quand on favorise la finance et les actionnaires, on est mal placé pour donner des leçons de justice sociale.

Il a également fait preuve d’une grande imprévoyance. Si la loi entrée en vigueur en 2008 oblige les grévistes à se déclarer 48 heures à l’avance, pour permettre l’organisation d’un plan de transports minimum, elle est impuissante devant une mobilisation de grande ampleur ou les astuces des syndicats pour paralyser le trafic par la grève alternée de conducteurs, d’aiguilleurs ou de contrôleurs.

Au lieu de lancer un véritable dialogue sur l’avenir de la SNCF, Élisabeth Borne a d’emblée annoncé l’objectif incontournable de la réforme : préparer l’entreprise à la concurrence pour répondre au calendrier imposé par l’Union européenne dans la libéralisation du secteur ferroviaire. Aveu d’impuissance. Le gouvernement ne gouverne pas : il est plus prompt à mettre en œuvre les directives européennes qu’à examiner les revendications des Français.

Mais les organisations syndicales ne sont pas exemptes de responsabilités dans l’éclosion de ce bordel, notamment la CGT. Apparemment unies dans l’action, elles sont en concurrence pour les élections professionnelles, qui auront lieu fin 2018 et déterminent la représentativité de chacune, avec les avantages qui lui sont liés. La CGT joue gros dans cette affaire. D’où la tentation de la démagogie et de la surenchère.

En l’occurrence, la grève du rail ne gêne pas l’employeur, mais les usagers qui ont besoin de transports pour travailler. Les petites entreprises aussi, la croissance, qui en prendra un coup. Bref, elle gêne tout le monde, à l’exception du gouvernement qui espère qu’elle deviendra vite impopulaire. Il espère aussi briser le front syndical par des arrangements avec les réformistes. Ce ne serait pas la première fois.

Le droit de grève doit être défendu : il a incontestablement permis des progrès sociaux. Mais il faut en revoir les modalités. Il est anormal que des secteurs entiers de l’économie puissent être paralysés. Et ce, avec l’aide de l’État, qui contribue au fonctionnement des syndicats. Tout comme – c’est un sujet similaire – il est anormal que quelques centaines d’étudiants ou de pseudo-étudiants empêchent une université entière de fonctionner.

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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