L’affaire Benalla reprend de plus belle. L’affaire Benalla, ce n’est pas l’histoire d’un garde du corps reconverti en conseiller de cabinet qui, n’en pouvant plus du travail de bureau, s’offre une oxygénation musclée dans les rues de Paris, fort de ses "copinages malsains".

Le jeu du pouvoir est, évidemment, de cantonner l’affaire à cette escapade place de la Contrescarpe. Le gars a "merdé", mais ce n'est pas une affaire d'État. On se demande, d'ailleurs, s'il n'a pas "merdé", surtout, parce que l'affaire s'est sue. La presse n’aurait pas découvert que c’était lui l’homme au casque… L’affaire est dans les mains de la Justice. Donc, pas de commentaires, faisons-lui confiance, la séparation des pouvoirs et toutes sortes de choses. Et puis voilà.

Eh ben, non, Benalla. Car le Sénat a décidé de ne pas en rester là. Que Benalla soit coupable ou pas des faits pour lesquels il a été mis en examen, ce n’est pas son problème. Que veut savoir le Sénat qui va convoquer le jeune homme pour le 19 septembre ? "Les conditions dans lesquelles des personnes n’appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l’exercice de leurs missions de maintien de l’ordre et de protection des hautes responsabilités et le régime de sanctions applicables en cas de manquements." Pour faire court, "Le fonctionnement de l’État", a déclaré Philippe Bas à BFM TV. On voit, très clairement, que cela dépasse largement la Contrescarpe !

Alors, Benalla vient de se rouler par terre dans un numéro de vulgarité édifiant. Comme quoi il ne suffit pas d’une couche de vernis pour faire d’un nervi un commis de l’État. Interviewé, mardi, par France Inter, l’ancien "adjoint au chef de cabinet du président de la République" s’est lâché. "Aujourd’hui, on me contraint. On me menace vraiment d’une manière directe." Effectivement, ne pas répondre à la convocation d’une commission parlementaire tombe sous le coup de la loi. Mais Benalla, qui a peut-être profité de ces grandes vacances pour potasser son droit, affirme qu’il va s’"expliquer devant la commission d’enquête, en tout cas la mission d’information qui s’est vue attribuer les prérogatives d’une mission d’enquête, mais qui n’a aucun droit, et qui bafoue notre démocratie". La confrontation avec ces "petites personnes" que sont donc, selon les mots de Benalla, les sénateurs sera probablement très intéressante. Notamment avec Philippe Bas, président de cette commission, que Benalla traite, au passage, de "petit marquis" mais aussi avec Jean-Pierre Sueur, rapporteur de ladite commission, tous deux hommes de grande courtoisie mais aussi de haute précision – l’un est conseiller d’État, l’autre linguiste…

Intéressant, aussi, l’argumentaire de Benalla pour dire qu’il ne dira rien devant la commission : "Je pourrai répondre à toutes les questions qu’elle me posera, sauf celles qui intéressent la Justice. C’est-à-dire toutes les questions sur quel était mon rôle à l’Élysée. […] Ça, ce sont des questions, aujourd’hui, que se pose la Justice, donc auxquelles je ne pourrai pas répondre, mais j’irai." On a compris sa tactique : tout ramener sur le terrain exclusivement judiciaire. Pourquoi, pour qui ?

Pour avoir la réponse, il suffit d’écouter le garde des Sceaux, Nicole Belloubet : "Je n’imagine pas" que la commission d’enquête gère un règlement de comptes, ajoutant : "Il va de soi que personne n’est dupe de ce qui s’est passé, de l’instrumentalisation de ce qui est au départ une dérive personnelle…" Ou encore Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, qui accuse Philippe Bas de faire de cette commission une "aventure politique personnelle" alors qu’il aurait "plus à gagner à parler des questions d’éducation, de la santé…" Un grand numéro de tartuferie dans laquelle La République en marche est passée maîtresse.

Benalla, Belloubet, Griveaux, même combat : décrédibiliser la commission d'enquête du Sénat - celle de l’Assemblée nationale s'étant terminée en pantalonnade sous la présidence de la députée LREM Yaël Braun-Pivet - et essayer de protéger, ainsi, le palais de l’Élysée en cantonnant l’affaire au palais de Justice. C'est bien la preuve en creux que cette affaire est une affaire d'État, donc politique. Emmanuel Macron voulait évacuer la politique de la vie publique. C'est raté, heureusement.

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12 septembre 2018 à 14:41

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