Bac : le rapport Mathiot met la charrue avant les bœufs

Le rapport Mathiot vient d’être publié : on ne parle plus que de « lycée modulaire », du choix de deux dominantes, de la réduction du bac à quatre épreuves et de l’introduction d’un « grand oral ». Mais on risque d’être surpris par la réalité que dissimulent ces formules chocs, qui se prêtent bien à la communication.

Il faut d’abord constater que le ministère met la charrue avant les bœufs. Il propose la structure d’un nouveau baccalauréat, avant même de définir ce qu’il évaluera. On met l’accent sur la forme au détriment du fond.

Ainsi, les missions disciplinaires, comme celle confiée au député Cédric Villani et à l’inspecteur général Charles Torossian pour les mathématiques, n’ont pas encore rendu leurs conclusions. Or, à quoi bon modifier le baccalauréat si l’on ne s’attache pas d’abord à déterminer le contenu des programmes et à améliorer l’acquisition des savoirs par les élèves ?

Les premières simulations de cette réforme font peser sur la rue de Grenelle un soupçon qui n’a rien à voir avec le souci de leur réussite dans les études supérieures : la mise en œuvre de directives budgétaires. La réforme devrait permettre de faire des économies de postes dans la plupart des disciplines.

On ne voit pas comment, sinon en se payant de mots, on pourrait relever le niveau des élèves en sciences ou en lettres, par exemple, si les programmes ne sont pas revus dans le sens d’une plus grande exigence, si le nombre d’heures disciplinaires n’est pas augmenté pour permettre d’approfondir le contenu des cours et la pratique des exercices.
Regardons de près les révolutions annoncées : ce n'est que la reprise de vieilles lubies dans lesquelles les ministres antérieurs ont déjà puisé : le lycée modulaire, les enseignements semestriels, le tronc commun pour les autres matières que les dominantes, la disparition du groupe classe, qui a sa dynamique propre et ses vertus pédagogiques, au profit de groupes éphémères et impersonnels.

Faut-il parler du grand oral qui pourrait être « interdisciplinaire » ? Le grand mot est lâché : « interdisciplinaire », alors que la plupart des élèves peinent déjà dans la maîtrise de chaque discipline. Paradoxalement, pour mieux préparer les élèves aux études supérieures, on les initierait aux travaux universitaires au lieu de leur faire acquérir des connaissances structurées, solides et exigeantes qui leur permettraient d’y faire face. On en ferait précocement des étudiants médiocres au lieu d’en faire de bons lycéens capables d’affronter le supérieur.

Notons que les commentaires négligent généralement les conséquences pratiques de la réforme sur le fonctionnement des lycées et le service des professeurs. Difficile, avec des enseignements modulaires et semestriels, de conserver un emploi du temps hebdomadaire. La seule solution viable serait l’annualisation des services avec, à la clef, d’importantes économies budgétaires et un surcroît de groupes et de travail pour les professeurs. De quoi les dégoûter de leur métier s’ils ne le sont pas déjà !

Ainsi, un professeur certifié, avec un service hebdomadaire de 18 heures, fait rarement 648 heures (36 fois 18 heures) par an devant des élèves Il faudrait retirer les jours fériés, les convocations officielles, les journées d’examens ou de voyages… Avec l'annualisation, l'enseignant devra toujours 648 heures de cours. Une mine importante d’économies, en postes et en heures supplémentaires…

Tout le monde constate que le lycée ne prépare pas bien une majorité d’étudiants aux études supérieures. La réforme du baccalauréat, qui annonce en fait une réforme du lycée, risque fort de ne pas améliorer les choses, voire de les aggraver. De la poudre aux yeux qui fera illusion et permettra de diminuer le budget de l’Éducation. Mais à quel prix ?

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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