Aznavour aux Invalides : pas un peu déplacé, quand même ?

800px-Invalides_nuit_night

Charles Aznavour était un immense artiste : le fait est incontestable. Peut-être plus grand que Johnny, qui « ne faisait qu’ » interpréter les chansons qu’on lui composait. Johnny eut droit à un « hommage populaire » devant et dans l’église de la Madeleine. Cela avait la couleur d’un hommage national, ne serait-ce que par la présence et le discours du chef de l’État, mais ce n’était pas un hommage national. Et c’était très bien ainsi, si l’on passe sur les grandiloquences d’Emmanuel Macron.

Pour Aznavour, le président de la République a décidé un hommage national. Une « formule » officielle, codifiée, au cordeau : présence et discours du chef de l’État, corps constitués, drapeau tricolore sur le cercueil (celui auquel ont droit les anciens combattants), musique militaire, troupes en armes avec drapeau régimentaire pour rendre les honneurs au Président mais aussi au défunt. Pourquoi pas ? Mais pourquoi, alors, dans la cour d’honneur des Invalides ?

Cet hôtel national des Invalides a été voulu par Louis XIV pour que "ceux qui ont exposé leur vie et prodigué leur sang pour la défense de la monarchie […] passent le reste de leurs jours dans la tranquillité". Une vocation militaire qu’aucun régime n’a jamais remise cause. La toute première remise d’insignes de la Légion d’honneur, certes ordre national et non militaire, eut lieu aux Invalides en 1804, d'abord pour des officiers méritants. En 1905 y fut créé le musée de l’Armée. Le siège du gouvernement militaire de Paris y est encore installé. L’église Saint-Louis, où reposent tant de grands soldats (Turenne, Vauban, Lyautey, Foch, Leclerc de Hauteclocque, Juin, etc.) est la cathédrale du diocèse aux armées françaises. Et les invalides sont toujours là, y passant leurs vieux jours, comme au temps de Louis XIV. Bref, l'hôtel des Invalides est intrinsèquement militaire. Et c’est pourquoi l’on peut s’étonner que, depuis une vingtaine d’années, les hommages nationaux aient lieu systématiquement dans la cour d’honneur de ce monument qui, avant d'être une jolie scène de théâtre pour le pouvoir, est d'abord une caserne.

La chose, à bien y regarder, peut même prendre un certain caractère incongru avec les funérailles de Charles Aznavour quand on sait que la seule fois où il porta l’uniforme, ce fut dans le film Un taxi pour Tobrouk, dans lequel il incarnait le légionnaire Samuel Goldmann. Né en 1924, Charles Aznavour ne fit pas ce que fit, par exemple, son cadet de deux ans, le jeune Valéry Giscard d’Estaing, qui s’engagea en 1944 dans la 1re armée de De Lattre. Ou son aîné de vingt ans, Jean Gabin, qui, à 39 ans (à cette époque, on n'était pas une jeunesse, à cet âge !), s’engagea dans les Forces navales françaises libres pour terminer la guerre à Berchtesgaden en 1945 comme chef de char dans la division Leclerc, décoré de la médaille militaire et de la croix de guerre. Question de hasard ou de circonstances, sans doute, nous dira-t-on. Mais c'est un fait.

Gabin, monstre sacré, comme Aznavour, mourut en 1976. Selon ses dernières volontés, ses cendres furent dispersées en mer d’Iroise depuis un bâtiment de la Marine nationale, mais il fallut une autorisation spéciale de Giscard d'Estaing, président de la République, pour que lui soient rendus les honneurs militaires au cours d'une cérémonie très simple. L’époque était à l’inflation mais pas à celle des hommages comme aujourd’hui. Une époque où le pouvoir ne prétendait pas encore faire du music-hall. Une époque que les moins de 20 ans, comme chantait Aznavour...

Georges Michel
Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)

Pour ne rien rater

Les plus lus du jour

L'intervention média

Les plus lus de la semaine

Les plus lus du mois