Au paroxysme de l’ancien monde

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D'accord, le nouveau monde nous avait été annoncé au cours de la fulgurante et atypique campagne présidentielle d'Emmanuel Macron.

On allait voir ce qu'on allait voir, ce qu'on n'avait jamais vu.

En effet, on a vu.

Même durant la première année de son mandat, la satisfaction que légitimement on pouvait éprouver par rapport aux quinquennats précédents ne relevait pas d'une sorte de stupéfaction admirative mais se rapportait plutôt à la considération, enfin, d'une normalité de bon aloi. On n'avait pas à rougir de ce Président. Mais rien qui nous ait éloignés de la terre républicaine.

Cet ancien monde, initialement dans une acception honorable du terme, est devenu le pire qui soit. Philippe Besson, Alexandre Benalla, les Antilles et leur fièvre, les saillies spontanées incomprises, la rigueur élyséenne à laquelle on croyait, dégradée en amateurisme, une communication qui même pour le profane apparaissait si mal gérée qu'elle semblait aspirer aux verges pour se faire battre, un Président humilié, insulté, quasiment molesté, les gilets jaunes et cette interminable, stimulante en même temps que lassante effervescence - plus l'ombre d'un doute, nous sommes tombés dans le paroxysme de l'ancien monde pour le fond et quant à la forme. Le Président n'a plus aucun titre à donner des leçons de tenue et de rectitude à ses prédécesseurs, et pourtant ils avaient mis très haut la barre de la médiocrité et de la vulgarité !

Ce qui, paradoxalement, fait naître de l'espoir tient au fait qu'Emmanuel Macron a découvert que le nouveau monde n'était pas derrière lui mais devant, atteignable, désirable.

On ne peut pas analyser autrement ce qui serait "une nouvelle méthode de travail pour son gouvernement" (Le Figaro). Quand le Président déclare : "On a été élu sur une promesse de bousculement du paysage politique traditionnel, il faut qu'on soit plus direct, et moins classique", il avoue que les comportements antérieurs n'ont pas été à la hauteur des engagements et que l'ancien avait gardé le pouvoir. Avec ses réflexes, ses facilités et ses préjugés.

Lorsque Benjamin Griveaux, porteur de la parole gouvernementale et inconditionnel du Président, politicien traditionnel s'il en est, s'aventure jusqu'à soutenir que "nous devons aller sans doute encore plus loin dans le changement, être encore plus radicaux dans nos méthodes, nos manières de faire, dans notre style", il y a une tonalité comique involontaire. Parce qu'il laisse entendre qu'avant, il y avait un changement amorcé et du radicalisme en devenir quand tout a démontré que, dans sa pratique du pouvoir, le macronisme ne nous avait pas fait changer d'ère ni d'air. En même temps, Benjamin Griveaux, à sa manière, confirme que le nouveau monde est à venir.

Il est déplorable que son secrétariat d'État ait été forcé et lui évacué dans l'après midi du 5 : ce n'était ni l'ancien ni le nouveau mais de l'anti-République !

Les citoyens n'ont pas eu le nouveau monde jusqu'à aujourd'hui alors qu'on le leur avait promis et qu'ils ont été déçus.

Ce n'est pas rien que le Président ait pris conscience, en quelque sorte, de sa banalité. Certains événements ont favorisé l'émergence de cette lucidité.

Il ne nous promet plus le nouveau monde, il le découvre.

Il n'a rien à perdre et nous aurions tout à y gagner.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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